Juliette Debruxelles
De l’aubergine au robot sexuel : comment la sextech chamboule la jouissance
Sextoys, robots, jouets connectés… La sextech explose. Si les machines font mieux jouir, à quoi sert encore le savoir-faire humain ?
Le temps des premières découvertes de son corps du bout des doigts est sans doute une saine pratique toujours d’actualité. Mais lorsqu’on pénètre les univers dédiés à la sextech, d’autres mondes s’ouvrent. Des mondes dans lesquels des objets technologiques ou connectés répondent à l’injonction de ressentir un plaisir forcément intense et abouti, ponctué d’un orgasme garanti. Comme dans bien d’autres secteurs, la performance technologique au service de la satisfaction humaine conduit à des interrogations légitimes: si la machine fait mieux, quelle est la valeur ajoutée du savoir-faire humain? Dans l’imaginaire collectif des générations «pré-digital natives», une carotte, une courgette voire tout le verger pouvaient servir de substituts de fortune à la verge. Les regards goguenards d’esprits mal tournés accompagnaient l’épluchage d’un légume oblong. L’équation «orifice + objet phallique pour le combler» prescrivait de remplir, profond, jusqu’au fond. C’est bon?
Si la machine fait mieux, quelle est la valeur ajoutée du savoir-faire humain?
Cette vision clinique de la sexualité alimentait des récits de bizarreries et autres légendes urbaines faites de pommeau de changement de vitesse ou de boule de bowling enfoncé dans le rectum, nécessitant l’intervention des secours. Les diverses zones érogènes, la complexité des appareils génitaux, le plaisir prostatique, les envies et fantasmes individuels se vivaient en toute discrétion, auréolés de l’impression d’une terrible transgression.
Et puis, la démocratisation d’objets vibrants vint se glisser discrètement dans le quotidien des coquins. Dans les catalogues de vente par correspondance des années 1980, à la section «hygiène et bien-être», des dames se caressaient pudiquement la joue avec un appareil raide et beigeasse nommé «masseur pour le cou». Fin des années 1990, la série Sex and the City sacrait l’iconique vibromasseur Rabbit au rang d’accessoire fashion indispensable. Une vague de libération des tiroirs des tables de chevet allait alors déferler sur l’Occident et, avec elle, une augmentation spectaculaire des ventes de jouets érotiques (1). Les femmes de tous âges revendiquaient le droit d’être «clitoridiennes», donc stimulées comme telles, en plus d’être «vaginales», donc offertes à l’emboîtement – distinction obsolète depuis lors.
Après avoir délégué la plupart de nos compétences à la technologie, voilà que nous confions aux outils le soin de nous faire jouir. Mais si la plupart des offres sextech accessibles restent de l’ordre de l’évolution ludique, décomplexante et positive, le spectre de la prochaine génération d’objets sexuels digitaux et connectés interroge. La création d’humanoïdes remplaçant les poupées gonflables d’autrefois inquiète: quid de robots sexuels plus vrais que nature assouvissant des perversions qui seraient jugées hors la loi s’il s’agissait de personnes réelles? L’idée fait trembler.
Pour l’heure, et depuis le milieu des années 2010, les start-up sextech poussent comme des champignons, les sextoys se réinventent (Dot de Lelo, Womanizer… ), la rééducation intime devient ludique (Perifit et sa sonde de rééducation périnéale reliée à une appli) et le pommeau de douche a été remplacé par des choses bien mieux adaptées. Quand le clit’ n’est qu’à un clic et l’éjaculation à portée de bouton, c’est toute notre façon d’exulter qui s’en trouve bousculée.
(1) Selon un rapport de l’Allied Market Research, le marché mondial du bien-être sexuel serait passé de 23 milliards de dollars en 2014 à une projection à 108 milliards de dollars d’ici à 2027.
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