Nicolas De Decker
RTBF, corps intermédiaires, budget : comment MR et Engagés appliquent “la tactique du salami”
Pour éviter de se rendre impopulaires, MR et Engagés découpent soigneusement leurs combats en petites tranches, selon la « tactique du salami » inventée par le Parti communiste hongrois.
On doit à la droite occidentale, belge aussi donc, d’avoir repris au communiste Antonio Gramsci son concept d’hégémonie culturelle, par lequel il faudrait imposer ses vues dans des affrontements idéologiques avantageusement cadrés avant de changer l’ordre matériel des choses, et non l’inverse. C’est ce qui fait que l’on se bagarre tant sur des guerres culturelles, par exemple davantage de la couleur du Père fouettard que de ce que les parents peuvent offrir à leurs enfants pour la saint Nicolas, et c’est ainsi que les positions de supériorité morale de la gauche se sont effondrées avec le temps. En Belgique francophone aussi. Cet emprunt à la praxis prônée par le lumineux communiste sarde est largement documenté. Mais une autre reprise à des stratèges communistes est en train de se retourner contre cette même gauche jadis si supérieure.
On la doit cette fois à un Hongrois plus obscur, c’est la «tactique du salami», appliquée par Matyas Rákosi, secrétaire général du PC au moment de son impitoyable prise de pouvoir, après la Seconde Guerre mondiale. Elle implique d’éliminer ceux qui vous déplaisent par fines tranches, progressivement, afin que les autres ne s’en aperçoivent pas, et que l’opposition ne puisse composer de bloc majoritaire adverse en réaction, «tranche par tranche, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien», disait Rákosi. Les partis de gauche emploient également cette méthode consistant à pointer un petit pourcentage impopulaire à découper, parce qu’on ne risque pas d’être désapprouvé, et c’est toute la rhétorique des 1% contre les 99% sur les questions fiscales. Mais dans le monde démocratique, ce sont aujourd’hui les forces de droite qui l’appliquent avec la plus remarquable efficacité tactique, et qui leur permet de dépiauter les secteurs adverses sans s’aliéner une trop grande partie de la population.
Cette excellence dans la précision à découper les secteurs à trancher se révèle aussi en Belgique francophone. Ainsi, à la RTBF que l’on souhaite désosser, la nouvelle ministre de tutelle s’attaquera à une petite vidéo antiraciste, diffusée sur un support affinitaire de niche de l’entreprise d’audiovisuel public, plutôt qu’aux fédérateurs événements grand public. Ainsi, dans les corps intermédiaires que l’on souhaite émincer, le futur accord de gouvernement s’en prendra prioritairement aux syndicats, et prioritairement au syndicat socialiste, plutôt qu’aux mutuelles, et surtout pas aux mutuelles chrétiennes, parce que les corps intermédiaires les moins largement soutenus sont les syndicats et pas les mutuelles, et que les organisations «pilarisées» les moins impopulaires sont les chrétiennes, et pas les socialistes. Et ainsi dans l’Etat social que l’on souhaite décharner, les prochains ministres s’en prendront d’abord aux travailleurs de la fonction publique, ceux qui sont nommés, et à leurs pensionnés, ceux qui gagnent plus que les autres, parce que personne d’autre qu’eux-mêmes n’est aujourd’hui là pour les défendre, et que c’est toujours par le plus petit bout par lequel il faut prendre un gros adversaire, quand on fait de la politique. En tout cas quand on la pratique comme il faut, donc comme on découpe un salami.
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