Thierry Fiorilli

C’est beau comme l’histoire de la Vérité nue

Thierry Fiorilli Journaliste

Ce soir-là, conférence au Rotary de Braine-le-Comte. Sujet: «Les médias sont-ils les suppôts du pouvoir?» Autrement dit: peut-on leur faire confiance? Chaud. Juge et partie, en plus. Mais on avait bien préparé, pour tenir une grosse heure: PowerPoint, évolution du secteur, orientations politiques, audiences, raisons des critiques, événements les contredisant ou les justifiant, expériences vécues, etc. Pas mille bons mots mais quelques petites formules ciselées, quand même. Avant la prestation, il y avait le repas. Avec les convives du club local, du Rotary de Soignies, de celui d’Enghien et de celui de Silly. Soit une petite trentaine de messieurs (surtout) et de dames. Quand quelqu’un doit prendre la parole, diling, diling, le responsable du protocole agite une cloche, et les discussions s’arrêtent. On annonce ainsi le résultat d’opérations caritatives, le projet d’aide aux rescapés du tremblement de terre en Turquie et en Syrie, les prochains événements, donc le besoin de bras, tout ça.

La Vérité, incapable de porter les habits du Mensonge, a marché sans vêtements et tout le monde s’est éloigné d’elle.

Au moment d’attaquer l’entrée, diling, diling: le responsable du protocole se fait orateur. Il en voit des belles dans son métier, enseignant à Tubize, mais garde une foi inébranlable «dans les jeunes». Il se lève et explique que, «puisqu’il sera question de mensonges, ce soir, avec notre conférencier, j’ai fait une petite recherche, pour comprendre pourquoi certains mensonges ont plus de succès que la vérité. La réponse à cette question se cache peut-être dans cette légende allégorique que j’ai trouvée sur Internet.» Il déplie sa feuille de papier et lit un court texte – dont on n’a pas trouvé l’auteur mais qui a notamment, depuis mai 2021, une version illustrée et commentée en voix off sur la chaîne YouTube «Histoire et mythologie en BD». Quand c’est fini, applaudissements. «Joli!», «Bravo!». Et bon appétit.

Voilà l’histoire:

«La légende raconte qu’un jour la Vérité et le Mensonge se sont croisés.

– Bonjour, a dit le Mensonge.

– Bonjour, a dit la Vérité.

– Belle journée, a continué le Mensonge.

Alors la Vérité est allée voir si c’était vrai. Ça l’était.

– Belle journée, a alors répondu la Vérité.

– Le lac est encore plus beau, a dit le Mensonge avec un joli sourire.

Alors la Vérité a regardé vers le lac et a vu que le Mensonge disait la vérité et a hoché la tête.

Le Mensonge a couru vers l’eau et a lancé:

– L’eau est encore plus belle et tiède. Allons nager!

La Vérité a touché l’eau avec ses doigts et elle était vraiment belle et tiède. Alors la Vérité a fait confiance au Mensonge. Les deux ont enlevé leurs vêtements et ont nagé tranquillement.

Un peu plus tard, le Mensonge est sorti, il s’est habillé avec les vêtements de la Vérité et il est parti. La Vérité, incapable de porter les habits du Mensonge, a commencé à marcher sans vêtements et tout le monde s’est éloigné d’elle.

Attristée, abandonnée, la Vérité se réfugia au fond d’un puits.

C’est ainsi que, depuis lors, les gens préfèrent accepter le mensonge déguisé en vérité que la Vérité nue.»

Une minute trente. Qui vaut toutes les conférences. En tout cas celle de ce soir-là.

La Vérité sortant du puits, tableau de Jean-Léon Gérôme (1896), accompagne souvent le conte, sur le Web.
La Vérité sortant du puits, tableau de Jean-Léon Gérôme (1896), accompagne souvent le conte, sur le Web. © DR
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