Thierry Fiorilli
C’est beau comme l’été, le roi des jolis souvenirs (chronique)
Ce n’est pas faire insulte aux trois autres. Mais si on croise le nombre de moments heureux, dans une vie, avec les saisons auxquelles ils sont liés, c’est lui qui gagne. Un triomphe. L’été, c’est le roi des jolis souvenirs, qui rejaillissent parce qu’une odeur, une musique, un nom, un mot. Toutes ces parties de nous que le temps s’évertue à vouloir enfouir mais qui se réveillent, calmes et intimes volcans, retours soudains à des jadis radieux. Dans notre hémisphère Nord, l’automne presse, parce que quelque chose va finir ; l’hiver enveloppe, d’étoffes, de lumières et d’antres où s’engouffrer à la hâte ; le printemps ausculte, check-up général avant l’aventure ; l’été, lui, s’offre. Colis longtemps attendu, mais cadeau surprise par nature. Le pire peut donc s’y tapir mais, généralement, qu’on parte ou non, vacances ou pas, voilà enfin «les beaux jours».
Pas d’intrigues de village, pas d’ambition, juste une manière de vivre, une manière d’être.
Il est des latitudes où on parle plutôt de saison sèche, ou de mousson ; ici, et en français, son nom même évoque l’existence, de quelque chose ou de quelqu’un, mais au passé. Ça a eu lieu. Ça a été vécu. Ça s’est vraiment produit, et on y était. Ce fut. Comme si, en automne, en hiver et au printemps, on ne faisait que traverser, effleurer, enjamber, trépigner ou somnoler, et qu’il y a donc moins d’épisodes retenus dans les filets de la mémoire. Alors que l’été, que la météo soit alliée ou traîtresse, les heures et l’espace s’étirent comme un chat, allongeant les instants, les incrustant plus profond tout en en polissant la netteté. La cabane dans les arbres, le monoï et le sable, les grands événements sportifs, l’herbe dans les cheveux, les matchs sur le bitume, le linge dans la cour, la glandouille en ville, les fruits pris à même la branche, les tablées à la belle étoile, l’ombre et les fontaines bienfaisantes, les lits sans draps du dessus, les portes grandes ouvertes, les chemins escarpés…
Mille auteurs ont célébré ces journées, ces soirs, ces nuits et ces aubes où tout se révèle différent. Comme remis à neuf. A nouveau possible. Un peu flottant aussi, aérien, avec les mêmes contraintes parfois, le même entourage, les mêmes murs que ceux des autres périodes de l’année, oui, oui, mais plus désinvoltes, plus indolents, moins anguleux, comme apaisés et enfiévrés à la fois. Mille auteurs. Charlélie Couture notamment, dans La Ballade du mois d’août 75: une maison louée «pas très loin d’Avignon», où «il faisait bon dès l’aurore» où on regardait «le ciel, dans un fauteuil en toile», où une amoureuse «tissait un gilet, comme un sage artisan, en maillot d’bain du soir au matin», où des «frangins f’saient des sprints à vélo, sur une route déserte», où «on allait chercher du fromage, du chèvre frais, dans la ferme du haut», où «la piscine était loin, mais ça faisait du bien quand on arrivait», où «on buvait du pastis comme si c’était de l’eau», où «on jouait à la pétanque comme des amateurs», où «on écoutait le mistral souffler sur la plaine». On «avait rien à gagner, les journées passaient, tout était simple, on ne croyait plus en rien d’autre qu’à l’instant». Il n’y avait «pas d’intrigues de village, pas d’ambition, juste une manière de vivre, une manière d’être».
Aujourd’hui, «il n’en reste rien. Quelques grains oxydés sur de la paraffine. Et des souvenirs idiots». Mais la magie estivale fait que, «les jours de pluie», ces quelques grains-là «donnent un peu de lumière». Même bientôt soixante ans plus tard. L’été, en fait, c’est pour toujours.
Thierry Fiorilli est journaliste et chroniqueur.
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