Thierry Fiorilli
C’est beau comme Les Vagabonds sauvages (chronique)
C’est l’histoire d’un groupe de musique, genre fanfare, saltimbanque à fond. Un quatuor de vagabonds sauvages comme sorti d’un film de Wes Anderson ou d’un conte d’antan pour enfants…
C’est un «marché de producteurs locaux», comme il s’est appelé en se lançant il y a deux ans dans ce hameau du Hainaut qui ressemble beaucoup à un coin de Brabant wallon. Bon, il y en a une dizaine, de ces producteurs, dont la moitié de productrices, et quand même une bonne partie qui viennent de pas si près que ça. Mais c’est sympa, ça change des trucs organisés dans la commune à laquelle est rattaché le hameau, il y a de vraies bonnes choses et les habitués y voient l’occasion de se faire un petit apéro, tranquille, entre amis, parce que c’est tous les samedis de 15 à 19 heures.
La dernière fois, c’était même jusqu’à 20 heures, parce qu’il y avait aussi un «marché des artisans» (avec plutôt des artisanes) et puis, comme c’est bientôt les fêtes, tout ça, il y avait un petit chalet-bar, dans lequel on pouvait rentrer, avec du vin chaud, trois tables et un feu ouvert. Bien plein, le chalet (météo dégueulasse: froid, vent, pluie, infatigables). Plutôt des quadras et plus, avec des doudounes et des voitures de marque mais qui aiment bien aussi des choses simples, comme la bonne franquette, le genièvre dans le gobelet plastique et la tartiflette des scouts.
D’ailleurs, là, puisque c’est une journée spéciale, il y a même un groupe de musique, genre fanfare, et il s’appelle Les Vagabonds sauvages. Un quatuor qui, résume son compte Facebook, «parcourt les foires, fêtes, festivals, bar- mitzvah et autres guindailleries». Deux des gars sont à la guitare (un avec l’harmonica en plus), un au tambourin et le dernier au cuivre ou à la flûte. Répertoire: folk, jazz et manouche. C’est saltimbanque à fond, jusque dans l’allure –ces types doivent répéter en gardant les moutons sur une montagne juste habitée par eux. Ça joue et chante très fort –et très bien, mais très fort– et comme ils sont quatre, que le chalet-bar est petit et bien plein, ils empêchent un peu les gens de se lever, sortir, entrer et parler entre eux.
«Quatre sauvages, sans laisse, sans maître, libres au point de donner des formes au vent.»
Mais ça ne dure pas très longtemps: les troubadours avaient fait irruption parce que, dehors, les bourrasques de pluie étaient trop féroces. Quand ils sont sortis, dans la petite rue étroite qui est tout de même la principale, là où il n’y avait pas les échoppes des «producteurs locaux», on a vu cette image comme sortie d’un film de Wes Anderson ou d’un conte d’antan pour enfants: un ciel de souffrance, l’obscurité de plomb, avec des petites taches de lumière mouillée et brouillée tombant des deux ou trois lampadaires maigrichons, des voitures rangées des deux côtés (ça aurait été des calèches, dans l’histoire pour les petits) et la petite rue étroite déserte, sauf quatre silhouettes, toute serrées, avec des chapeaux et marchant en ondulant au rythme des airs qu’elles jouaient, pour personne d’autre qu’elles et l’espace autour.
Quatre vagabonds sans doute un peu éméchés, sans doute un peu ébréchés, avec leur instrument pour leur tenir chaud et leur musique pour vaincre les ténèbres. Sûrement, à cet instant précis, les plus irradiants de bonheur sur tout le périmètre du hameau. Loin des guerres, des affres, des crises, des egos, des angoisses, des tempêtes, des vins chauds, des doudounes chères et des sucres aux épices. Quatre sauvages, sans laisse, sans maître, libres au point de donner des formes au vent.
Quatre types et trois fois rien, équivalant à plus que tout.
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