Thierry Fiorilli

C’est beau comme les murs qui disent «Je t’aime» (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

En noir sur briques blanches: «Je suis tombé amoureux de qui tu es, pas de qui tu prétends être.» En rouge sur crépi gris: «C’est beau de t’avoir tout près.» En bleu sur béton beige: «Je voudrais t’embrasser pendant qu’on écoute la mer.»

Et ailleurs: «Tu ne veux pas comprendre que je t’aime?» Ou: «Parmi sept milliards de sourires, le tien est mon préféré.» Ou encore: «Je t’entends dans chaque chanson.» Et même: «Je t’aime encore, en cachette.» Lettres rondes ou tremblotantes. Phrases bien alignées ou toutes penchées. Dans toutes les langues, en fonction des lieux. Avec ou sans dessin. Les murs des villes parlent et hurlent depuis des millénaires, pour réveiller les foules, les éclairer, les haranguer, les insulter, les adoucir, les mobiliser ou les séduire, mais quand ils chuchotent ou chantent une romance, quand ils portent un message personnel tendre mais d’autant plus fervent qu’il est ouvert aux quatre vents, on dirait de vastes baies donnant sur des contrées magiques.

On n’est pas dans du Banksy, pas dans le graff d’exploit, pas dans l’extrait philosophe, pas dans le slogan de combat, pas même dans la littérature flamboyante. Juste dans une déclaration d’amour. Elle tiendrait en un texto, en une capture d’écran à envoyer à celui ou celle à qui elle est destinée mais elle s’étale, bien en vue, dans l’espace public. Pas par impudeur mais parce qu’on vit une histoire d’une telle importance, d’une telle ampleur, d’une telle sincérité, que tout le monde doit avoir au moins une chance de le savoir. Et tant pis si elle est éphémère. On n’écrit pas le prénom de celui ou celle pour qui le cœur bat la chamade et le pavé, on ne signe pas non plus, parce que ce serait dévoiler ce qui ne regarde personne d’autre que toi et moi, et puis tu sais bien que c’est moi qui te parle, là, du moins si tu passes devant et que tu lèves les yeux, mais on sème qu’on s’aime, tant les sentiments débordent.

Ces messages sont évidemment l’apanage de très jeunes. Les plus âgés qui bombent ou collent encore dégainent des mots de rage, de résistance, de dénonciation, de condamnation. Des intentions louables, des oukases ou des SOS. Mais ici, c’est du romantisme urbain. En adoptant, comme expliquait à France Inter, il y a déjà cinq ans, Françoise Barbe-Gall, historienne d’art diplômée de l’Ecole du Louvre et de la Sorbonne, cette «façon de dire les choses avec un autre rythme, et ce n’est pas pour rien que la culture hip-hop a intégré le graffiti et le tag à sa panoplie de moyens d’expression». En usant de cette «manière de raconter des choses à des gens qu’on ne connaît pas, qui passeront par là, qui découvriront un mot, une image ou simplement des traces de couleur. Ils sauront que je suis passé, que j’existais. Une façon aussi de montrer de quoi je suis capable même si on ne me connaît pas», et que c’est la plupart du temps anonyme. «Une façon animale enfin d’occuper un territoire, de dire: «Je suis là, je pose quelque chose qui restera une fois que je serai parti.»» Ou que la romance se sera éteinte.

Pour autant, ces si jeunes amoureux qui font danser nos villes avec leurs mots doux prennent des risques. Puisqu’on n’écrit pas impunément sur les murs. Même si c’est pour agrafer leur cœur, à nu et ciel ouvert. Ce qui les rend encore plus magnifiques.

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