Thierry Fiorilli
C’est beau comme les légitimités de Vincent Lindon (chronique)
Dans l’émission C à vous, sur France 5, le 29 août, l’acteur Vincent Lindon a commenté l’actualité. Un type bouleversant.
C’était le 29 août, dans l’émission C à vous, sur France 5. L’invité est Vincent Lindon. La journaliste et présentatrice Anne-Elisabeth Lemoine lui annonce qu’on parlera cinéma, bien sûr, puisque l’acteur est en tournée promo du film de Claire Denis, Avec amour et acharnement, qui vient de sortir et dans lequel il joue. Mais d’abord, il commentera l’actualité, précise-t-elle. S’il est «toujours d’accord». Et le festival démarre. «Je suis toujours d’accord, oui», réagit ce si singulier personnage. Qui se racle la gorge et se tortille comme si c’était malaisant d’être là. D’ailleurs, prévient-il, avec des pauses dans ses phrases, comme des dos d’âne sur une route, «j’entends parfois des gens qui disent: “Est-ce qu’on est légitime, les artistes, si tant est que je sois un artiste, pour parler du monde et de ce qui se passe?”. Je pense que oui, pourquoi on le serait pas? Parce que c’est un métier qui pourrait apparaître comme superficiel? Oui mais, je paie mes impôts, je vis, je subis les mêmes malheurs que tout le monde, les mêmes bonheurs, le soir je me couche quand je suis fatigué, comme tout le monde. Oui, je suis légitime. Pas plus qu’un autre mais pas moins qu’un autre. La différence, c’est que, moi, on me pose des questions, on me demande mon avis. Alors, ou je réponds pas et on dit que c’est la langue de bois, ou on répond et on n’est pas légitime. C’est vrai que le passage, c’est vraiment étroit, pour une petite souris c’est pas de la tarte de se faufiler là-dedans mais donc, moi, j’ai décidé d’être illégitime et je vais répondre aux questions que vous me poserez, et ça coûtera ce que ça coûtera.»
Ce serait la Coupe du monde des acteurs, je dirais “moi, j’ai encore envie de gagner tel ou tel prix mais je renonce à y aller”.
Même si, à vrai dire, «ce que je fais là ce soir, je ne devrais pas le faire. Je devrais être un acteur qui ne vient parler que de son film. On ne devrait même pas m’inviter en première partie pour me demander mon avis sur la société. S’il y avait de grands intellectuels, c’est eux qu’on inviterait. Les artistes n’auraient pas à prendre des risques et à passer pour des ridicules de temps en temps. Vous imaginez bien que je ne maîtrise pas mon sujet. Je vous dis ce que je peux, comme je le ressens, mais une grande pensée intelligente, de quelqu’un qui prend des risques, au risque même d’être en danger, ça n’existe plus et je trouve ça très dommage. Moi, si j’avais des idées pour sauver le monde, ça se saurait. Je serais pas là, je le sauverais.»
Six mois de guerre en Ukraine? «Depuis toujours, on se pose la question: “Est-ce qu’on est prêts à se battre pour l’Europe?” La réponse est ukrainienne: oui, on se bat pour l’Europe.» La Coupe du monde de foot, au Qatar, dans trois mois, avec ses stades climatisés et son mépris des droits humains? «Ce serait celle des acteurs, je ferais une conférence de presse et je dirais, moi, personnellement, j’ai encore envie de gagner tel ou tel prix mais je renonce à y aller. En tout cas, je la regarderai pas.»
Un type bouleversant. Expert en rien mais raisonnant bien sur tout. Une bouée et un ressort. Plus que légitimes. Miraculeux.
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