Thierry Fiorilli

C’est beau comme les gens qui sonnent à la porte (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Des fois, une faille temporelle s’invite. On est fin 2023, avec ses réseaux sociaux, sa 5G, ses SUV, son climat tourneboulé, ses guerres, ses déplacements de priorités, ses virtualités et ses cloisonnements. Mais il arrive qu’on dirait qu’on est avant. Comme un anachronisme dans un film, une erreur de script ou de décor, Charlot dans le dernier John Wick, Piaf chez Hanouna, les Schtroumpfs contre Dark Vador.

Comme ce dernier dimanche. Beaucoup de choses à finir, absolument. Parce qu’en retard, pour des raisons d’organisation, des imprévus, des obligations, des fêtes et des deuils, la vie en somme. Bref, on trace, faut pas nous mettre la misère. Tu parles. Ding dong! On ouvre, le chien en profite pour se tirer, et un grand scout à lunettes, tout gauche, qui vend des truffes et des bougies pour financer son camp d’été: les ballotins viennent de Flandre «parce que mon père est flamand». On prend, on paie, on rattrape le chien et on se remet à bosser, parce qu’on doit vraiment avancer, là.

Une demi-heure, ça dure. Ding dong! Le chien qui s’échappe et un monsieur qui propose des recueils de contes d’Afrique, noire essentiellement, «du soleil dans cette époque sombre». On prend, on paie, on ramène le fugitif et maintenant faut qu’on nous lâche. Vingt minutes et reding dong, re-le chien parti et trois petites filles, scouts aussi, «mais on est une autre unité», avec des brownies («recette d’Amérique»), des biscuits marocains («c’est de ma maman») et des sachets de thé vert («comme au restaurant chinois»). On prend, on paie, on abandonne qui vous savez mais il revient geindre à la porte donc on retourne ouvrir et on se dit que ça va être chaud, quand même, pour les choses en retard à finir absolument.

La vie compte bien plus que la ponctualité.

D’autant qu’après, plein d’autres ding dong (donc d’évasions du chien):

– un livreur avec un colis et un joli accent de l’Est ;

– encore des scouts mais avec des Post-it Cap 48 et un qui annonce que lui, il a un berger allemand ;

– deux types en camion venus de Normandie avec des patates, des carottes, des oignons, du cidre et du jus de pomme de là-bas ;

– un voisin parce que la voiture gêne et que «le petit dernier est né, Efisio! , comme le saint patron de la Sardaigne, bon sang ne saurait mentir!».

Entre les coups, parce qu’il faisait sa promenade, le vieux monsieur du bout, qui sait tout sur tout et aime bien le rappeler, qui explique pourquoi on en est là au Proche-Orient, comment ça va tourner en Ukraine et, devant le chien qui revient, crevé, informe que «les Jack Russell viennent d’Angleterre, du Devonshire».

On a alors pensé que, tous ces ding dong, c’était embarquement pour un vrai tour du monde. Et des gens, en vrai, en face, et une porte ouverte, et des enfants qui courent derrière un chien sur le trottoir. Comme avant. Bon, on a fini ce qu’on avait à finir à la nuit tombante. Très en retard. Mais comme dit l’un des personnages de Ton absence n’est que ténèbres, un roman de l’Islandais Jón Kalman Stefánsson, la vie compte bien plus que la ponctualité.

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