Thierry Fiorilli
C’est beau comme les fulgurances des grands ados (chronique)
C’est une fameuse bande. De grands gaillards de 17 ou 18 ans, potes depuis toujours. Ça rigole beaucoup, ça s’échange des vidéos marrantes, ça glandouille pas mal, ça se souvient à 23 h 48 qu’il y a test de maths le lendemain, ça ramène donc des bulletins bof bof, on croit comprendre que les profs leur portent un regard navré, c’est vrai que ça ne vole pas toujours au-dessus de l’Everest – «Hé, gros, y m’a lancé la boule de glace et je l’ai attrapée au vol, avec la bouche!» ou cette appli qui fait apparaître un drapeau au-dessus de votre tête, sur l’écran, il faut citer quel pays c’est et si on se trompe, bam une trempe des autres (et bam une trempe même quand on ne se trompe pas, ça va de soi). Mais ils ont des fulgurances qui touchent au génie.
Bon, l’accusé peut réintégrer le groupe mais il doit présenter des excuses à la langue française.
Comme l’autre jour. Un samedi. La veille, Angel a exclu Momo du groupe WhatsApp. Motif: il n’utilise jamais de majuscules dans ses messages. Ça irrite Sam, très à cheval sur les règles (celle-là en tout cas), il s’en est plaint plusieurs fois. Angel, qui a créé le groupe, a fini par éjecter Momo. Alors Momo fait le forcing: «allez quoi, non, gros, non, reprenez-moi quoi, je suis trop dégoûté.» Par téléphone, Messenger, SMS. En vain. D’autant que c’est toujours sans les majuscules, ce qui aggrave son cas.
Il est décidé qu’un procès tranchera. L’audience est fixée à 14 h 30, par visio. Angel est le juge, Sam le procureur, Thomas et Romain les jurés. Momo prend pour avocat Milo. Chacun est en cravate et veston (on ne sait pas plus bas, on ne voit que jusqu’au milieu du tronc). Sam dit qu’il faut une punition. Milo plaide sec, estimant qu’on s’en fout des majuscules, du moment qu’on se comprend, et rappelant que si c’est l’orthographe qui décide de qui est dans le groupe, ben y a plus du tout de groupe hein… Romain doit partir. Thomas met des filtres rigolos sur la tête des autres. Sam redit qu’il faut une punition. A 16 heures, verdict d’Angel: «Bon, l’accusé peut réintégrer le groupe mais il doit présenter des excuses à la langue française.» Ce que Momo fait illico, sur un compte Instagram dédié au respect de notre idiome (réponse: «Votre demande sera traitée dans les plus brefs délais.»).
Trois jours plus tard, les gars débarquent à midi (l’école est juste en face), avec Mona et Valentine, qui sont dans leur classe. Eux en profitent pour une partie de Fifa. Elles s’arrêtent devant les mots magnétiques du frigo. On leur explique: «On en place un, piqué au hasard. Et puis on fait une phrase en piochant dans les verbes, pronoms, adjectifs et substantifs aimantés.» On voit que d’autres sont déjà passés. Et toujours pas par l’Everest: «les copain s’invite et se caresse la crotte», «ma saucisse m’excite», etc. On pourrait intenter quelques nouveaux procès mais on se limite à prendre le premier magnet qu’on voit: «sommeil». Voilà, à vous. Quand tout le monde est reparti en cours, on débarrasse. En refermant le réfrigérateur, on regarde sur la porte. Il y est écrit: «parce que le sommeil fragile murmure quelque vérité.»
C’est une bande merveilleuse.
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