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C’est beau comme la ravisseuse d’enfants

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Mai 1944. Rue Neuve, à Bruxelles. Cette fille, là, toute élégante, avec l’officier allemand derrière, elle n’a pas 23 ans. Un type photographiait les passants puis leur remettait un ticket, vert. Un ami avait été catégorique: «Tu es recherchée, il ne faut pas qu’une photo de toi traîne, tu dois aller la chercher.» La fille se fait appeler Claude Fournier. Elle enlève des enfants, parfois des bébés de huit jours. A Anvers, elles sont toujours deux. Claude embarque les gosses, l’autre la valise avec les vêtements et elles sortent séparément. C’est là que les dénonciations sont les plus nombreuses, la Gestapo la plus présente.

Claude Fournier a emmené plus de trois cents mômes. Sans jamais être prise. Ça s’est parfois joué à rien, comme lors de ce contrôle dans un train pour l’Ardenne ; le soldat a demandé ce qu’elle faisait avec ces cinq ou six gosses, elle a répondu que c’était des petits «débiles» qu’elle emmenait à la campagne ; l’Allemand, qui n’était pas un SS, les a scrutés, l’un après l’autre, puis il a regardé Claude: «Je ne dirai rien.» Il avait compris mais il leur a sauvé la vie. Parce que c’était des enfants juifs. Comme tous ceux que Claude a arrachés à des familles. Aux griffes nazies, en fait.

Son vrai nom, c’était Andrée Geulen. Institutrice. Mais en 1941, des gamins et des fillettes, hauts comme trois pommes, étaient arrivés en classe une étoile jaune sur la veste. Et puis, ils n’étaient pas revenus. Elle était allée voir chez eux. Personne. Les voisins avaient raconté: raflés. Toute la famille. Fin 1942, elle entre au Comité de défense des Juifs, créé quelques mois plus tôt pour exfiltrer les Juifs et où œuvraient aussi des non-Juifs, comme Andrée, affectée à la section chargée des enfants – plus de trois mille ont été sauvés. Elle les emmène, à pied, en tram, en train, dans des familles d’accueil ou des institutions catholiques où ils sont cachés.

Quand on a conscience qu’on fait ce qu’on doit faire, la peur s’envole.

Dans des archives qu’ Un jour dans l’histoire a diffusées début juin, sur La Première, elle raconte: «C’était beaucoup plus facile et moins dangereux pour moi, avec mes yeux bleus et mes cheveux blonds.» Que les mamans pleuraient. Que les petits les consolaient. Que «si j’avais été mère, je n’aurais pas pu». Qu’elle promettait de revenir donner des nouvelles, «mais la plupart du temps, quand j’y allais, les parents avaient été pris». Qu’elle expliquait, sur le trajet: «Tu ne dis pas que tu t’appelles Sarah mais Suzanne, ni que tu es juive.» Qu’ils comprenaient, de façon extraordinaire. Qu’il existait un fichier avec les noms et adresses des familles d’origine et d’hébergement, mais dispersés dans cinq carnets différents, avec des codes. Qu’aucune des mères nourricières sollicitées, à qui on disait la vérité, n’a jamais refusé ni dénoncé, pas plus que dans les cités ou villages où étaient planqués les petits. Que «quand on a conscience qu’on fait ce qu’on doit faire, la peur s’envole».

Andrée Geulen est morte le 31 mai dernier. Elle avait 100 ans. Son histoire est celle du triomphe des gens bien. Des gens tout simples. Ce qui les rend extraordinaires.

@ThFio

Il ne manque qu’un môme à côté d’elle et le tableau aurait été complet. Le tableau de l’œuvre d’une héroïne.
Il ne manque qu’un môme à côté d’elle et le tableau aurait été complet. Le tableau de l’œuvre d’une héroïne. © dr

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