Thierry Fiorilli

C’est beau comme la pharmacie et la poésie (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Les mots qu’on lit guérissent les maux de l’âme. A la Pharmacie de la poésie, au Royaume-Uni, on prescrit des vers, sans ordonnance ni modération.

Il y a cinq ans, Deborah Alma et James Sheard, qui enseignent la poésie à l’université de Keele, dans le centre de l’Angleterre, ouvraient la Poetry Pharmacy à Bishop’s Castle. Principe tout simple: on y prescrit des ouvrages de poésie, en vers ou en prose. Parce que, selon ses initiateurs, «la poésie peut faire beaucoup pour améliorer ou modifier un état d’esprit et conserver une bonne santé mentale».

Honnêtement, beaucoup ont considéré le projet aussi déjanté que suicidaire. Sauf que, avant ça, Alma avait sillonné le pays à bord d’une ambulance des années 1950 pour proposer de la poésie sur ordonnance, en tant que poétesse de l’urgence et en fonction des maux à soulager (elle lisait alors un poème et, apparemment, les gens se sentaient plutôt mieux, après). Et puis, surtout, cette année, la Pharmacie de la poésie a ouvert une deuxième officine, et pas n’importe où: à Londres, sur Oxford Street, l’une des rues commerçantes les plus célèbres au monde.

Evidemment, avec le même objectif: recommander tel ou tel ouvrage à ceux qui ouvrent la porte du magasin parce qu’ils ont le cœur brisé (une maladie d’amour, c’est pas rien), désespèrent de l’espèce humaine (ça peut tuer à petit feu), sont transpercés de chagrin, pour plein de raisons différentes (qui font autant de trous, béants, partout), crèvent de solitude, ne peuvent déployer leurs ailes, ou ôter leur masque, ou vivre une autre destinée que celle qu’on leur impose, tremblent d’angoisse face à ce qui ressemble à un autoengloutissement de la planète…

Si les mots peuvent blesser, tuer même, ils peuvent aussi guérir.

Dans cette pharmacie singulière, on trouve au moins un livre qui peut soigner l’une de ces pathologies existentielles ou émotives. Et si celui en prose n’a pas remis d’aplomb, celui en vers y parviendra. Parce que, comme le rappelle Deborah Alma au site britannique positive.news, «lors des mariages et des enterrements, un poème est lu. La poésie, c’est l’art vers lequel se tournent les personnes en proie à une émotion intense.» Et que des réseaux sociaux comme Instagram et TikTok ont adopté pour y créer ce qu’on appelle «l’Instapoésie», moyennement considérée par les puristes mais ayant boosté de façon incroyable l’attrait des plus jeunes pour la poésie –la vraie aussi.

Si on dit les choses sans enfiler de blouse blanche, cet apothicaire poétique est donc une librairie. Sur les rayonnages, des livres et des livres. Et en guise de notice, juste la conviction que, si les mots peuvent blesser, tuer même, ils peuvent aussi guérir. Pas un refroidissement, pas une grippe, pas un eczéma, ni pire, mais bien la déshydratation de l’âme. Ses écoulements de larmes et de sang, ses fractures, ses gangrènes, ou pire. D’autant que la boutique propose aussi «le café du dispensaire», pour consommer tout de suite, sur place, le médicament prescrit: lire –parfois à voix haute– les poésies qui vous revigoreront face à ce monde de brutes au pouvoir toujours grandissant.

Sans doute pas de quoi changer la face de l’univers, puisqu’il semble que, ces temps-ci, les ingénieurs et les durs à cuire ont davantage la cote que les poètes pour gouverner. Mais peut-être assez, dans le chef de certains, pour reprendre goût à la vie. Pour redresser épaules et tête. Pour faire rebattre le cœur. Pour repartir sur la piste, avec vent dans le dos.

Vivement ces officines ici, et ailleurs. A tous les coins de rue. Question de santé publique.

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