Thierry Fiorilli

C’est beau comme… devant les portes de l’école (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Une heure avant la sonnerie, personne. Peut-être du monde arrive par l’entrée latérale, pour la garderie, mais d’ici, on ne voit pas. Ça commence vers 7h45. Généralement, c’est un ado, seul, le visage encore chiffonné de sommeil mais le pas alerte. Puis les premières voitures, qui se rangent parfaitement et d’où sortent une maman ou un papa à l’air très frais et dispo; ça ouvre les portes arrière, ça rencapuchonne, ça ajuste les cartables aux épaules et ça accompagne jusqu’à l’intérieur de l’enceinte, avant de revenir s’engouffrer dans le véhicule, direction boulot. Des premiers groupes débarquent: des filles, entre elles; des garçons, en duo ou trio; des plus âgés, avec des écouteurs, la gourde dépassant du sac et habillés trop léger pour le temps qu’il fait. Puis des plus petits, frères et sœurs, l’aîné en tout début de secondaire, peut-être même pas, le benjamin à peine en primaire, main dans la main, chargés comme des baudets, bien emmitouflés, bien sur le trottoir, chacun respectant très sérieusement leur rôle et les consignes.

Au fur et à mesure, le mouvement s’accélère et l’affluence gonfle. De grosses autos s’arrêtent au milieu de la rue, moteur pas éteint, des gosses en jaillissent, plus ou moins grands, plus ou moins bien réveillés, vont chercher leurs affaires dans le coffre, le referment, filent sans se retourner et la voiture redémarre. Des grands-parents, qui avancent parfois un peu penchés, avec dans une main un tout petit sac rose, rouge ou bleu vif, avec dessus des étoiles, des couronnes, des héroïnes et des héros, et dans l’autre la menotte d’un enfant haut comme trois gommettes, qui observe la cohue avec un mélange d’attention, l’air grave, et de détachement, parce qu’on voit bien qu’ils ont le cœur qui dort encore. D’ailleurs, certains matins, quand c’est comme toujours la nuit, ces mômes, si riquiqui, dans leur écharpe et leurs moufles, on devrait leur dire de retourner dans leur lit, c’est pas une heure ni un temps pour aller au taf. Ce sera bien assez souvent le cas plus tard.

On voit des mères qui poussent en plus un landau. Des parents qui semblent avoir enfilé une veste sur leur pyjama. Des au téléphone, des qui fument, des qui se garent n’importe comment, des qui rajustent un bonnet, une tresse, un col, qui mouchent un nez, qui effacent du chocolat d’une joue. Des avec la marmaille derrière, obligée de trottiner pour suivre le tempo. D’autres criant à leur gamin, qui court devant, de s’arrêter au coin. Des qui en portent sur les épaules. Des qui les ont dans les bras, contre la hanche, sur le dos. Des qui marchent moins vite au retour, parce qu’il n’y a plus le feu maintenant. Des, au contraire, qui allongent la foulée, parce qu’il y a un train à prendre, un horaire de travail, un rendez-vous. Et puis des grands élèves en grappe, qui s’apostrophent. Des qui sont seuls et qui encadrent un petit, et on dirait que ça les embête. Des avec leur maman et qui en sont fiers. Des qui rient. Des qui traînent les pieds. Des qui sont fringants. Des qui ont fait le crochet par la sandwicherie et qui croquent un petit pain. Des qui s’embrassent. Et des petits qui pleurent, des qui sont déjà tombés, des qui auraient voulu rester à la maison.

Certains matins, ces mômes, on devrait leur dire de retourner dans leur lit.

8h30, sonnerie retentie, tout est vide. Juste deux ou trois en retard, qui s’en inquiètent et galopent ou s’en tamponnent et ralentissent encore. L’école, c’est une leçon et un condensé de vie devant ses portes aussi.

Thierry Fiorilli est journaliste et chroniqueur.

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