Thierry Fiorilli
C’est beau comme la MAJESTUO’CITÉ de Fair Ground (chronique)
C’est à la page 521 de son dernier roman, Les Furtifs. Alain Damasio, l’un des auteurs actuels les plus fascinants, fait s’interroger l’un de ses personnages sur le modèle d’espace public urbain qu’il est souhaitable de créer. Ça donne ceci, en lettres majuscules et avec les phrases en quinconce, comme si c’était crié au mégaphone, dans la rue, peut-être comme lors des manifestations, mais on penche plutôt pour comme le fait encore le chiffonnier, avec sa camionnette qui sillonne des bourgades de province:
TECHNI’CITÉ OU RUSTI’CITÉ? | RÉSOUDRE LA VILLE PAR LA TECHNO OU PAR L’HUMAIN? |
RAPA’CITÉ OU COMPLI’CITÉ? | PRÉDATION PRIVÉE DES ESPACES OU RECONQUÊTE DU COMMUN? |
PUBLI’CITÉ OU SAGA’CITÉ? | LAISSER LE SENS AUX MARCHANDS OU LE LAISSER AUX HABITANTS? |
OU FÉLI’CITÉ? | VIVRE VITE OU SAVOIR-VIVRE?
A Bruxelles, cette «capitale à taille humaine», comme le chantent tant de ressortissants étrangers qui s’y sont installés, des gens ont rapidement choisi. Comme les rebelles des Furtifs, ils se sont regroupés. Pour que les lieux devenus angles morts de la gentrification des quartiers servent aux habitants qui ne sont pas, ou ne sont plus, de taille à y affronter l’infatigable hausse des prix immobiliers.
Concrètement, au sein de quatorze associations, ils ont créé, fin 2020, la coopérative Fair Ground. Grâce à des emprunts bancaires, émission d’obligations et prise de parts, elle rachète des terrains et du bâti. Pour l’instant, à Bruxelles seulement. Bientôt en Wallonie. Les bâtiments sont rénovés ou construits, puis loués. Pour 80% de logements à bas loyers (en moyenne 40% moins chers que ceux du marché privé), le reste pour activités commerciales et associatives ne pouvant s’aligner sur les montants d’ailleurs. Si un locataire veut, s’il le peut un jour, acheter son appartement (d’une, deux, trois ou quatre chambres), okay. Mais le terrain restera propriété de la coopérative.
Utopie? Après un an et demi, Fair Ground est déjà propriétaire de quatorze logements et deux espaces associatifs. Et plus de monde la rejoindra et y investira, plus elle répondra à un besoin: il manque 50 000 logements sociaux à Bruxelles. Ça signifie: 50 000 ménages ou isolé(e)s sur une liste d’attente, attente qui peut durer dix ans, parce que le secteur public n’arrive pas à suivre la cadence (deux cents logements sociaux créés par an), qu’un Bruxellois sur trois a des revenus sous le seuil de risque de pauvreté (moins de 1 287 euros net par mois pour un isolé, moins de 2 703 euros pour un ménage de deux adultes et de deux enfants de moins de 14 ans) et que la pandémie et l’envolée des prix n’ont fait qu’empirer la situation.
A la page 2022 de l’histoire de Bruxelles, l’action et la vision urbaines de cette coopérative de logements solidaires, auxquelles chacun(e) peut contribuer, sont parmi les plus somptueuses de l’époque:
RÉCIPRO’CITÉ ET NÉCE’CITÉ | UNE VILLE VIVE ET PANACHÉE, HABITABLE ET HABITÉE
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