Carte blanche

Walen buiten: c’était il y a 56 ans. Et aujourd’hui ? Et demain ?

Peut-être n’est-il pas inutile, pour les Wallons et francophones bruxellois, de se souvenir du « Walen buiten » de 1967, afin que ce scénario d’éjection unilatérale ne se reproduise, estime Bernard De Commer, ancien président de la Fondation Emie Baussart et militant wallon.

L’année 2024 (en fait le 9 juin) sera une année d’élections et n’ayons aucun doute à ce propos : des revendications institutionnelles reverront le jour. Ne citons, par exemple, que deux déclarations lors de la récente fête de la Communauté flamande. Celle de la présidente du Parlement flamand, Liesbeth Homans (N-VA), pour qui la Flandre doit disposer de « tous les leviers » qui lui permettent de rester prospère. Ou, dans la foulée, celle du président de la N-VA, Bart De Wever,  pour qui sans un « changement de système » ce sera « la faillite » du pays.

Des déclarations d’autres personnalités flamandes vont dans le même sens, avec plus ou moins d’insistance.

Côté wallon, par contre, à l’occasion des dernières fêtes de Wallonie, en 2022, Paul Magnette s’était tu dans toutes les langues quant à d’éventuelles réformes institutionnelles.

Dès lors, peut-être n’est-il pas inutile, pour les Wallons et francophones bruxellois, de se souvenir du « Walen buiten » de 1967, afin justement que ce scénario d’éjection unilatérale ne se reproduise.

Walen buiten, les Wallons dehors, c’était donc il y a plus d’un demi-siècle.

Rappelons, pour celles et ceux qui n’ont pas vécu ces événements, de quoi il ressort.

En 1962, les lois linguistiques Gilson consacrent l’unilinguisme des régions. Dès lors, les exigences flamandes se firent de plus en plus pressantes, exigences qui se heurtaient à un non catégorique des évêques de Belgique, pouvoir organisateur de l’Université catholique de Louvain: pas question pour eux de scinder en deux l’université. Même le dédoublement des cours, le bilinguisme administratif et le nombre croissant de professeurs néerlandophones ne suffisaient pas à satisfaire les exigences des Flamands : la présence d’une université francophone sur le territoire de la Flandre était vécu comme une insulte à la cause flamande. 

Revenons donc aux événements qui agitèrent dans ces années-là les étudiants, dont certains d’entre nous furent les témoins directs, voire les acteurs.

Le 5 novembre 1967, 30 000 Flamands, dont vingt-sept parlementaires du PSC-CVP, défilèrent dans les rues d’Anvers en  exigeant le départ des étudiants francophones de Louvain, au nom du droit du sol et de l’unilinguisme régional. Le droit du sol. Un droit du sol qui va souvent de pair de nos jours encore avec une forme larvée d’exclusion.

Une forme d’exclusion que la Wallonie rejette majoritairement à l’instar de Elie Baussart qui écrivait dans La Cité Nouvelle, le 22 août 1945 : « Mais si, sous prétexte de demeurer fidèle à ses origines, le peuple wallon se murait dans une sorte de racisme, si, pour cultiver ses originalités, il affirmait seulement ses motifs d’opposition, négligeant systématiquement les points de contact, si, par souci d’assurer sa prospérité, il prenait un soin de ses intérêts, exclusif des solidarités que la géographie et l’histoire lui imposent, il compromettrait la communauté à laquelle il appartient, sans pour cela améliorer sa propre situation »

Durant les mois qui suivirent, les étudiants flamands de Louvain défilèrent régulièrement dans les rues de Leuven en scandant des slogans hostiles aux francophones, dont le célèbre « Walen buiten ». Les étudiants francophones réagissent avec humour et créent l’Université de Houte-Si-Plou et défilent en cortège dans cette ville de la périphérie liégeoise.

Le gouvernement Vanden Boeynans (PSC) laisse aux évêques le soin de solutionner le problème.

Le 2 février 1968, Monseigneur De Smedt, évêque de Bruges, revient sur ses positions du 13 mai 1966, en avouant à Courtrai devant une assemblée de membres du Boerenbond qu’il s’était « grossièrement trompé ».

Au sein du PSC, unitaire toujours, la déchirure est profonde. Le premier ministre d’alors, Paul Vanden Boeynans, francophone, remet sa démission au roi, le 7 février 1968.

Lors de la campagne électorale qui suivit, PSC et CVP, pour la première fois de leur histoire, vont défendre des programmes différents. La famille sociale-chrétienne perd dix sièges dans l’affaire, exception faite de Bruxelles où elle en gagne deux grâce à la notoriété de Vanden Boeynans. Parallèlement, trois partis « communautaires » progressent : deux sièges en plus pour le FDF, cinq pour le Rassemblement wallon et huit pour la Volksunie.

La section francophone est condamnée à déménager. Le 20 octobre 1972, la première rentrée académique eut lieu à Louvain-la-Neuve, qui n’était encore qu’un vaste chantier.

Clôturons par ces quelques mots d’Elie Baussart :

« Le fondement de notre régionalisme, c’est la Wallonie. S’il entre dans la délimitation de la région un déterminisme géographique…, d’autres éléments interviennent, moins rigides, tels que l’histoire, l’économie, la psychologie, voire la liberté humaine qui se trouve, à un moment donné, en devoir de choisir…La langue n’est pas qu’une phonétique, mais l’expression adéquate et subtile de tout l’intime du moi, de toute l’âme d’un peuple. Et s’il est vrai que la différenciation du fond et de la forme ne soit qu’une fiction, si, par conséquent, une langue n’est que la figure du génie du peuple ou de la race qui parlent, dans quelle mesure, à son  tour, la langue, inséparable de la pensée qu’elle exprime, agit-elle sur la formation des concepts, leur association et leur ordonnance, comment, en un mot informe-t-elle la pensée? Action et réaction combinées, langue et pensée son unies si étroitement qu’on ne peut guère les dissocier que par une opération purement intellectuelle. L’une et l’autre sont également révélatrices du peuple qui les présente… Un peuple qui perd sa langue ou la laisse s’éteindre, abdique en même temps que sa personnalité, son droit à l’existence…C’est pourquoi le régionalisme wallon apparaît surtout comme un mouvement de défense linguistique et culturelle… La Wallonie, c’est donc cela: un peuple de langue française, avec une âme originale…Le régime de centralisation de 1831 n’est peut-être pas le système idéal… Notre régionalisme devient peu à peu une politique dont les lignes se dégagent davantage tous les jours.. » (La Terre wallonne. Mai 1924)

Ce texte sera bientôt centenaire, mais reste d’une actualité criante.

Et si, entretemps, à coups de réformes de l’Etat successives, la Wallonie et Bruxelles sont devenues une réalité politique, il n’est pas question, pour nous militants wallons, en tout cas, d’oublier ce Walen Buiten. Quand bien même, au mois de mai 2016 les villes d’Ottignies Louvain-la-Neuve et Leuven ont décidé de se jumeler.

Non que nous ayons la rancune tenace, mais parce que, plus que jamais, la vigilance est de mise : pas question de vouloir sauver à tout prix la Belgique de papa, mais si réformes il doit y avoir, et il y en aura immanquablement, elles doivent être équilibrées. Et pas à sens unique.

Par Bernard De Commer, ancien président de la Fondation Elie Baussart et militant wallon.

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