Carte blanche
Une bombe nucléaire en Iran: bluff ou vérité ? (carte blanche)
Pour Hamid Enayat, analyste iranien basé en Europe, les craintes de voir l’Iran développer une bombe nucléaire sont réelles.
Dans une interview du 17 juillet 2022 accordée à la chaîne qatarie Al Jazeera au sujet des capacités de la République islamique à fabriquer une bombe, Kamal Kharazi, chef du Conseil stratégique des relations étrangères de la République islamique et conseiller d’Ali Khamenei, affirme que l’Iran dispose déjà des capacités techniques lui permettant de fabriquer une bombe nucléaire, appuyant ses propos par la précision suivante : « En quelques jours, nous avons augmenté le niveau d’enrichissement de l’uranium de 20 à 60 %, et il peut être facilement porté à 90 %. » Toutefois, selon Kharazi, le pays n’aurait pas l’intention de le faire…
De son côté, Mohammad Javad Larijani, ancien secrétaire aux droits de l’homme du pouvoir judiciaire, commente le dernier voyage du président Américain à Jérusalem en ces termes : « Lors du voyage de Biden en Israël, ils ont juré d’empêcher l’Iran de se doter d’une arme nucléaire. Or, selon la Fatwa du Guide de la Révolution, nous ne cherchons pas à produire des armes de destruction massive, notamment une bombe nucléaire. Mais si nous le voulons, nous le ferons. » Ajoutant un peu plus loin que « si les Occidentaux cherchent à lancer quelque chose comme l’OTAN du Moyen-Orient ou l’OTAN arabe, nous réagirons naturellement. Personne ne peut nous arrêter ».
Bluff ou fait réel ?
A les écouter, la théocratie iranienne, celle-là même promettant le feu à tous les ennemis de Dieu, ne serait qu’un Chérubin prenant juste quelques précautions dans le cas où les agressions internationales à son encontre se feraient trop intenses. Pourtant, il ne fait aucun doute que le régime iranien a toujours essayé de réaliser son rêve de fabrication d’une bombe atomique et a définitivement lié cet objectif à sa survie. Depuis 2002, date à laquelle le CNRI (Conseil National de Résistance Iranienne, opposition politique en exil) a fourni les première évidences d’essai de fabrication d’une bombe atomique par le gouvernement iranien, les preuves ne cessent de s’accumuler. Et ce, même si le régime n’a jamais révélé l’emplacement de ses sites nucléaires, chacun d’entre eux ayant été dévoilé par l’opposition iranienne ou par d’autres sources.
Entre 2003 et 2020, ce sont les Moudjahidines du peuple qui, à l’aide de leurs réseaux à l’intérieur du pays, ont pu préciser les emplacements des sites où un déclencheur de bombe devait être conçu et construit. De la même façon, entre 1992 et 2017, c’est encore l’OMPI (Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien) qui a pu mettre la lumière sur les lieux envisagés par le régime pour la construction d’un porte-bombe nucléaire… Mais depuis ces révélations multiples, le régime iranien n’a toujours pas autorisé l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) à accéder à ces sites. Et bien que ces révélations, puis les résolutions 2322 de l’ONU aient parfois provoqué l’arrêt momentané ou le ralentissement du programme nucléaire iranien, le régime n’a jamais cessé d’avancer dans cette direction, malgré un coût, selon les journaux officiels du régime, se portant à plus de 32 milliards de dollars et mettant l’économie du pays à rude épreuve.
La nomination d’Ebrahim Raïssi : le signe de la fin d’un cycle
D’autre part, la “nomination“ d’Ebrahim Raïssi à la présidence par le guide suprême est un autre signe de cette volonté belliqueuse de l’Iran des mollahs. Selon les Nations Unies et Amnesty International, le nouveau président a été largement impliqué dans le massacre de prisonniers politiques de l’été 1988, issu d’une fatwa lancée par Rouhollah Khomeyni, premier guide suprême et fondateur de la révolution islamique. Ce faisant, Ali Khameneï (Guide suprême depuis la mort de Rouhollah Khomeyni en 1989) se garantit ainsi la plus parfaite obéissance et s’assure de pouvoir poursuivre sans encombre politique ses objectifs de construction de bombes atomiques, de drones et de missiles, développés dans le but d’asseoir son influence régionale et de durcir encore sa répression lors des soulèvements. Même si, pour parvenir à ses fins, il a dû écarter son plus proche conseiller, Larijani, par ailleurs ancien président du Parlement.
De fait, la volonté de retarder sans cesse et sous divers prétextes les négociations sur le nucléaire dans le cadre de la JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action, accord international sur le nucléaire iranien) n’a eu pour but que d’atteindre l’éclatement nucléaire (Breaking nuclear out), le point de non retour évalué à + de 90 % d’enrichissement de l’uranium, la barre symbolique citée par Kharazi lors de son interview du 17 juillet dernier pour accentuer la pression dans les négociations en cours avec les pays Européens. Pourtant, selon toute vraisemblance, le programme est encore loin d’atteindre son plein potentiel.
Prise d’otages, extorsion au service de la survie du régime
La moindre opportunité de pouvoir gagner du temps est exploitée par les mollahs. Les prises d’otages récurrentes depuis la naissance du régime en sont de brillants exemples. Erigées en outils diplomatiques, ces prises d’otages sont pleinement assumées par les dirigeants du régime. Mohammad Ali Jaafari, le précédent commandant du CGRI (Corps des Gardiens de la Révolution Islamique) avait déjà clairement admis dans son discours du 4 novembre 2019 que la prise d’otages des diplomates de l’ambassade américaine à Téhéran était complètement planifiée, réaffirmant que sans ces otages, le régime se serait effondré dans les dix premières années. Dans ce même discours, il déclarait que « seuls quelques-uns de nos responsables révolutionnaires, y compris le Guide suprême (Khamenei), étaient fortement d’accord avec ce mouvement révolutionnaire. »
Mettre fin au sale jeu des otages
C’est dans ce contexte que le gouvernement belge a présenté à son parlement un projet de loi visant à renvoyer le diplomate terroriste iranien, condamné à vingt ans de prison par le tribunal d’Anvers, vers la théocratie iranienne. En surface, ce traité répondrait à un objectif humanitaire visant à libérer d’autres ressortissants étrangers emprisonnés en Iran. Un jeu très sale, mais profitable aux mollahs. Un bluff permanent entretenu par la volonté de la révolution islamique d’imposer son point de vue au reste du monde et par la lâcheté (ou la naïveté ?) des diplomates européens, persuadés qu’en cédant à chaque fois, ils permettent à la paix de s’installer durablement. Mais quand on nourrit un crocodile, il est très naïf de penser qu’il ne cherchera pas d’autres proies.
L’impasse politique iranienne
Le régime iranien est pourtant aujourd’hui confronté à une situation explosive au pays. La répression absolue, notamment celle contre les femmes sous le prétexte du “mauvais hijab“ et des artistes et écrivains se poursuit sans relâche. Le régime est pris dans une impasse, comme dans un piège. Accepter le JCPoA semble impossible. Question de principes édictés par le guide suprême lui-même et selon lesquels le premier recul conduit inexorablement au dernier recul. Son expérience aidant, il sait que l’argent coulant à flot grâce à la fin des sanctions soumise à l’arrêt de son programme nucléaire ne le protégera en rien de nouveaux soulèvements populaires. En 2015, après l’accord conclu et malgré la vente d’un pétrole abondant, l’état a du faire face à deux soulèvements majeurs en 2018 et 2019 qui, sans l’intervention de l’armée, allaient renverser le régime.
Il faut préciser qu’en Iran, 80% de la population survit sous le seuil de pauvreté. Et out le monde sait pertinemment que la levée des sanctions et la manne financière conséquente qui suivra n’abreuvera que les dirigeants et le CGRI, eux qui contrôlent déjà plus de 60 % de l’économie du pays. L’opposition politique s’est aussi organisée sur le terrain. Les unités de résistance se développent aux quatre coins de l’Iran et sont prêtes à orienter l’explosion résultant de cette situation vers des changements démocratiques. Les derniers rayons du soleil se retirent du ciel de la république islamique. Nous vivons actuellement le crépuscule des mollahs, ces derniers s’enfonçant dans les abysses de la noirceur de leurs âmes.
Les 23 et 24 juillet, des milliers de personnalités devaient se réunir lors d’un grand rassemblement, afin d’exprimer leur soutien à un Iran démocratique visant à la séparation de la religion et de l’État et à l’égalité des sexes, entre autres. L’histoire commande toujours de se tenir aux côtés du peuple et non de soutenir un dictateur, par peur ou par naïveté, dont les temps sont inexorablement comptés.
Hamid Enayat, analyste iranien basé en Europe
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