Carte blanche
Un «modèle de loi» prête à l’emploi pour la transposition de la directive anti-SLAPP
Tous les Etats membres de l’Union européenne doivent transposer en droit national la directive européenne contre les poursuites-bâillons (SLAPP) au plus tard en mai 2026. Le groupe de travail belge anti-SLAPP a élaboré un modèle de loi prêt à être utilisé par la ministre de la justice, Annelies Verlinden, et par le parlement.
SLAPP est l’acronyme de Strategic Lawsuit Against Public Participation et désigne l’utilisation abusive des procédures judiciaires pour intimider les voix critiques et les traquer à grands frais. L’intention d’un SLAPPer (le plaignant) n’est pas tant de gagner le procès que d’exclure du débat public toute information critique. Ce sont surtout les journalistes, les ONG, les organisations de défense de l’environnement et des droits de l’homme, les initiatives citoyennes et les universitaires qui ont dû faire face aux SLAPP.
Avec la directive européenne anti-SLAPP 2024/1069 du 11 avril 2024, le législateur européen souhaite ériger un barrage contre ce type de poursuites judiciaires téméraires ou vexatoires.
Les SLAPP en Belgique aussi!
Il y a de nombreux exemples récents de poursuites-bâillons en Belgique aussi. Parmi les plus connus, citons l’action intentée contre le virologue Marc Van Ranst, l’action contre le journaliste de Knack Dirk Draulans, celles contre les journalistes d’investigation Apache, contre le magazine MO*, l’action intentée par le Ministère de l’Intérieur contre Sudmedia et les multiples plaintes contre le journaliste David Leloup. De nombreuses initiatives environnementales et civiques ont également été impliquées dans de telles procédures. L’exemple d’un agent immobilier menaçant un groupe de clients mécontents d’une forte demande de dédommagement s’ils publiaient en ligne d’autres critiques à son égard est frappant.
Bon nombre de ces procédures SLAPP se sont heureusement soldées par un rejet de la demande ou un acquittement. Mais ce n’est que très exceptionnellement que le plaignant lui-même a été condamné pour ses poursuites pénibles et imprudentes. Le droit belge n’offre aucune défense efficace contre de tels abus de justice, et le pouvoir judiciaire réagit également de manière trop « molle ».
Bon nombre de ces procédures SLAPP se sont heureusement soldées par un rejet de la demande ou un acquittement. Mais ce n’est que très exceptionnellement que le plaignant lui-même a été condamné pour ses poursuites pénibles et imprudentes.
Si, exceptionnellement, une personne SLAPP est condamnée pour avoir mené une procédure vexatoire, téméraire ou abusive, le défendeur n’est toujours remboursé que d’une petite fraction des dommages et des frais de justice encourus. Par conséquent, le gagnant juridique de la procédure devient toujours un perdant financier. C’est pourquoi, nombreux journalistes, médias ou ONG retirent des articles ou des publications après avoir été menacés par une SLAPP, précisément afin d’éviter les frais de justice et les longues procédures.
Toutes les SLAPP, y compris dans les affaires pénales
Avec l’initiative d’un ‘modèle de loi’, le principal objectif du groupe de travail anti-SLAPP est d’aider à assurer une transposition rapide de la directive. La directive vise une harmonisation minimale au sein de l’Union européenne et laisse donc la place à des dispositions plus favorables. La loi modèle opte pour une approche logiquement plus large que la simple transposition de la directive en droit belge: la loi doit s’appliquer non seulement aux poursuites-bâillons de nature transfrontalière, mais aussi aux poursuites-bâillons dont les parties concernées sont domiciliées en Belgique. Et outre les procédures civiles, les garanties contre les SLAPP doivent également pouvoir être invoquées dans les affaires pénales.
Il est vrai que la directive européenne se limite aux mesures contre les poursuites-bâillons lorsqu’elles ont des implications transfrontalières, mais limiter la protection à cela n’est pas tenable en pratique. La Commission européenne demande d’ailleurs avec insistance que les mêmes garanties soient prévues pour les affaires judiciaires nationales. En outre, limiter le champ d’application de la loi aux seules affaires de nature transfrontalière aurait pour conséquence que la loi aurait peu d’impact dans la pratique: après tout, plus de 90% des affaires de poursuites-bâillons n’ont pas de caractère transfrontalier, mais sont localisées dans un seul pays.
Alors que la directive se concentre uniquement sur les affaires civiles, le modèle de loi, proposé par le groupe de travail Anti-SLAPP belge, contient également des mesures relatives aux procédures pénales. Sur ce point, le modèle de loi suit les recommandations de la Commission européenne et du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, d’autant plus que plusieurs poursuites-bâillons ont également eu lieu en Belgique dans le cadre de procédures pénales au cours des dernières années. Au contraire, si la loi anti-SLAPP ne s’appliquait qu’aux procédures civiles, un nombre encore plus important de SLAPP risquerait de se produire dans le cadre de procédures pénales, alors qu’il est bien établi que les affaires pénales ont un effet encore plus intimidant ou paralysant.
Vers une résolution rapide des SLAPP et des sanctions efficaces
Le «modèle de loi» précise également quand il y a «participation du public» et les critères qui peuvent aider les juges à reconnaître et à sanctionner les poursuites-bâillons. La possibilité du juge de rejeter une plainte pour SLAPP à un stade précoce de la procédure constitue une garantie importante. Le défendeur peut également demander une caution au plaignant au début de la procédure, à titre de garantie financière, au cas où le plaignant serait condamné pour plainte manifestement infondée ou abus de procédure.
La directive européenne exige également des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. En cas d’abus de procédure dans les affaires SLAPP, le tribunal peut donc imposer une amende pouvant aller jusqu’à 25.000 euros. En outre, le plaignant peut être condamné à payer des dommages et intérêts, y compris tous les frais de justice du défendeur, c’est-à-dire les honoraires et frais d’avocat, à moins que ces frais ne soient excessifs.
En cas d’abus de procédure dans les affaires SLAPP, le tribunal peut donc imposer une amende pouvant aller jusqu’à 25.000 euros.
Protection contre les jugements étrangers
La loi type introduit la possibilité pour les juges belges de refuser la reconnaissance et l’exécution des jugements rendus dans d’autres pays qui doivent être considérés comme des poursuites-bâillons.
Les tribunaux belges deviendront également compétents pour juger les demandes de dommages-intérêts pour les personnes des personnes établies en Belgique qui ont subi un préjudice du fait d’une action SLAPP intentée dans un pays hors de l’Union européenne.
La balle dans le camp du législateur, du pouvoir judiciaire et des avocats
L’Institut fédéral des droits de l’homme (FIRM), désigné par le SPF Justice comme point de contact central dans la lutte contre les SLAPP en Belgique, se voit confier un certain nombre de tâches par la loi modèle, dont l’organisation de campagnes de sensibilisation. Il appartient maintenant au législateur, et immédiatement à la profession d’avocat et à la magistrature, de rétablir l’équilibre entre le droit d’accès à la justice et le droit à la liberté d’expression et d’information.
En effet, les SLAPP reposent sur le droit du plus fort et n’ont donc pas leur place dans un Etat de droit démocratique.
Le groupe de travail belge anti-SLAPP suit les développements concernant les SLAPP tout en s’efforçant d’obtenir une transposition cohérente de la directive européenne. Le groupe de travail compte une quarantaine de membres : universitaires, avocats, magistrats honoraires, représentants des médias et des initiatives citoyennes et ONG.
Le site web trilingue fournit des informations sur le phénomène SLAPP, y compris des exemples internationaux et belges. Sur ce site, vous trouverez également le texte de la loi modèle .
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