Pierre Schoffers
Un master plan fédéral pour «l’entreprise Belgique»
Changeons d’ère. En actionnant un seul levier, on peut enclencher un nouveau modèle vertueux pour « l’entreprise Belgique », l’économie et l’Etat, l’emploi et le pouvoir d’achat, les pensions et la transition écologique. Une carte blanche du journaliste Pierre Schöffers.
Traditionnellement, on négocie un programme gouvernemental débouchant sur une addition des « revendications » des partis partenaires, au mieux un commun dénominateur de leurs propositions respectives de campagne préélectorale. L’exercice est tout sauf simple, mais l’expérience et les mésaventures de la défunte Vivaldi et de quelques-uns de ses prédécesseurs ont montré qu’il germe trop d’incohérences et de blocages. La nouvelle constellation politique est, peut-être, propice à un changement de la méthode traditionnelle. Plutôt que de négocier un programme gouvernemental étalant les différents chantiers et saucissonnant les mesures envisagées, ne devrait-on pas élaborer directement un véritable master plan pour « l’entreprise Belgique » ? Un nouveau modèle socio-économique peut-être même. Pour cela, il faudrait changer d’ère, de méthode, d’approche.
Le master plan pour remettre la Belgique sur les rails
Restaurer le pouvoir d’achat, créer des emplois, préserver les pensions et les soins de santé, garantir une Justice juste, assurer la transition énergétique et sauver le climat : ces défis collectifs requièrent mieux que des solutions ponctuelles voire disparates. Au lieu d’empiler les mesures, plutôt que d’additionner une réforme fiscale à un paquet « pensions » et à un volet « emploi », une bonne gouvernance devrait enfin concevoir un plan intégré de prospérité économique mettant en œuvre un meilleur Etat social et écologique. Ce pourraient bien être là les objectifs majeurs d’un master plan fédéral.
L’idée d’un master plan fédéral de restauration socio-économique peut éloigner les assauts confédéralistes
Accessoirement, l’idée d’un master plan fédéral de restauration socio-économique peut éloigner les assauts confédéralistes, car plus d’emploi partout, moins de fiscalité sur le travail et des services publics fédéraux plus efficaces sont des facteurs coupant l’herbe sous les pieds des autonomistes flamingants. Ceux-ci, au demeurant, le candidat Premier ministre De Wever en tête, ne pourront d’ailleurs plus invoquer le « mauvais » comportement socialiste des électeurs francophones pour justifier leur envie de prendre le large.
Une recette efficace pour contrer le nationalisme flamand
Un master plan fédéral et intégré doit pouvoir agir concomitamment sur l’économie, le budget, le bien-être des Belges et l’Etat. Pas à coups de réformettes avortées en cours de route. Il ne faut pas de potion magique, mais une interaction des remèdes à nos maux et déficits. La pierre d’angle de l’édifice peut être la réduction significative du coût du travail. Un consensus politique de principe existe déjà à ce sujet, en-deçà des modalités. Cet abaissement parafiscal n’est pas à considérer comme une mesure parmi d’autres ou comme un simple apport d’oxygène aux entreprises, mais comme un levier pour changer à peu près tout de manière cohérente : plus d’emploi, plus de travailleurs qualifiés, plus de pouvoir d’achat, plus d’initiative entrepreneuriale, plus de marges budgétaires pour les soins de santé, la rénovation des ponts et des Palais de Justice … et un nouveau modèle pérenne des régimes de pension.
Un tax swing
Concrètement, en actionnant un seul levier on pourrait manager un plan global cohérent. Quel levier ? La suppression de la quote-part « pensions » dans les cotisations sociales. Cela représente 16,36 % si l’on se réfère à la période antérieure à la globalisation de la gestion de la Sécurité sociale. Cela représente aussi plus de 25 milliards d’euros dans le régime des salariés.
Une réduction aussi substantielle du coût du travail ouvre des marges confortables pour augmenter l’emploi et les salaires
Une réduction aussi substantielle du coût du travail ouvre des marges confortables pour augmenter l’emploi et les salaires, ceci à la fois automatiquement avec la réduction de la part personnelle et conventionnellement via la libre négociation dans les commissions paritaires et les entreprises. Aussi pour financer les indispensables formations, en entreprise ou non, susceptibles de combler le manque actuel de personnel qualifié dans bien des domaines. On pourrait, par exemple, fixer à 8% (la moitié de la réduction) la marge renégociable par les interlocuteurs sociaux selon les besoins et possibilités des secteurs d’activités et des entreprises.
L’opération ne pouvant que se révéler économiquement productive (en termes d’emploi, de pouvoir d’achat, de croissance et de rentabilité), l’Etat récupèrerait ainsi une partie des pertes de recettes parafiscales. C’est ainsi qu’on a évalué à 15 milliards d’euros l’impact budgétaire positif de l’objectif européen de faire passer, en Belgique, le taux d’emploi à 80 % de la population active.
Belgique: opération réduction des déficits publics
En abaissant aussi sérieusement et globalement le taux des cotisations sociales, l’Etat peut aussi abolir – sauf si plus favorables à l’emploi – les innombrables régimes spécifiques d’aides à l’emploi existantes et consistant en de multiples formes de réductions de cotisations patronales. Cela réduirait encore d’autant (plus de 3,5 milliards d’euros), la facture brute de l’opération imaginée.
Si l’on considère que l’opération devrait se faire dans un contexte global de réduction des déficits publics et à tout le moins sans augmentation globale de l’impôt, une réforme fiscale devrait dès lors éponger le solde et produire les moyens budgétaires nécessaires au financement des nombreuses autres « revendications » ou besoins figurant dans les programmes des partis politiques. Y compris les moyens requis par la Santé, la Justice et la transition écologique. Intégré et phasé dans une même opération générale interactive générant davantage d’emplois et de pouvoir d’achat, le tax swing à imaginer pourrait alors se faire dans un contexte plus dépassionnalisé, au-delà de petits calculs de profits particuliers, tout en puisant dans le très prolifique réservoir d’idées diverses figurant dans les programmes préélectoraux.
Le droit à la pension est donc déjà de moins en moins un droit dérivé du travail.
Un tax swing en effet, un glissement fiscal, car la fiscalisation des pensions constitue évidemment le corollaire de la suppression de la quote-part parafiscale ad hoc dans le taux de prélèvement sur les salaires. Et la clé pour ouvrir les chantiers bloqués.
« La pension deviendrait un droit du citoyen à une retraite digne »
Ce serait un bouleversement, bien sûr. Mais déjà maintenant, l’impôt vient au secours des caisses des pensions. Le droit à la pension est donc déjà de moins en moins un droit dérivé du travail. En fiscalisant son financement, la pension deviendrait un droit du citoyen à une retraite digne. Une fusion des régimes (privé, indépendants et fonctionnaires) serait même l’occasion de faire d’un tel système de pension un droit universel ou de base, dont le montant pourrait néanmoins être complété en fonction des années de travail et des contributions effectives durant celles-ci.
En résumé: au départ de la fiscalisation des pensions, on peut enclencher un mécanisme vertueux susceptible de répondre aux défis de maintenant ; avec la marge créée, doper la compétitivité de nos entreprises, augmenter les salaires et le pouvoir d’achat, accroître l’emploi, même négocier des formes de réduction du temps de travail, et multiplier les formations professionnelles ; avec la fiscalisation, garantir des pensions décentes à tous tout en mettant au point un nouveau modèle fiscal global plus juste susceptible d’assurer le financement des services publics et des besoins nouveaux. Le faire de manière intégrée et concomitante à travers un master plan fédéral constituerait une vraie refondation de l’Etat social et écologique.
« Changer de modèle », n’était-ce pas là un slogan électoral d’un des partis vainqueurs des élections législatives ?
Pierre Schöffers
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