Carte blanche
Un arrêt de grossesse précoce n’est pas une maladie, ni un prétexte à quelques jours de congé !
En Belgique, une femme sur 10 serait concernée par un arrête de grossesse précoce, aussi appelé « fausse couche ». Malgré l’ampleur du phénomène, il existe un vide juridique en la matière, dénonce un collectif de signataires, qui vient de lancer une pétition.
Une grossesse sur 4 (25%) se solde par un arrêt précoce, soit une interruption spontanée de la gestation – la « fausse couche » – soit une intervention pour raisons médicales. La fin de la grossesse est dite précoce quand elle survient avant le terme de 180 jours de gestation auquel la loi attache le droit à un congé de maternité et les autres droits connexes de la protection de la maternité.
Une femme sur 10 risque de connaître un tel événement dans son parcours de maternité.
Nous, signataires de cette tribune et porteuses d’une pétition, nous l’avons traversé au moins une fois. Nous connaissons, toutes et tous, des femmes et des hommes, des ami.e.s, des parent.e.s, des collègues, des couples qui l’ont vécu.
Pour des futurs parents, cette épreuve est souvent un choc, un drame silencieux dont les douleurs sont vécues dans l’ombre et à laquelle notre société ne prépare guère. Car bien qu’il s’agisse souvent d’une expérience particulièrement traumatisante, la question de l’arrêt précoce d’une grossesse, qu’il soit spontané ou médical, reste aujourd’hui un véritable tabou dans notre société.
Le terme « fausse couche » lui-même, utilisé généralement pour désigner l’arrêt spontané d’une grossesse, décrit fort mal une situation qui n’a rien de faux pour celles et ceux qui la traversent… Il est en outre réducteur, car il ne recouvre pas la diversité des réalités des arrêts précoces d’une grossesse, qui peuvent aussi être médicaux, quelles que soient leur cause ou leur raison. C’est pourquoi nous préférons utiliser le terme « arrêt précoce d’une grossesse, spontané ou médical ».
Il n’est pas acceptable, aujourd’hui, de laisser perdurer cette situation inique! L’arrêt précoce, spontané ou médical, d’une grossesse, est un sujet de société
Pour ajouter au désarroi de celles et ceux qui vivent une telle situation, survient le vide juridique actuel, qui oblige les femmes à poser des congés maladie pour disposer d’un temps, nécessaire et légitime, pour se remettre, physiquement et émotionnellement, de cette expérience, et leurs partenaires à puiser dans leurs jours de congé…
Il n’est pas acceptable, aujourd’hui, de laisser perdurer cette situation inique ! L’arrêt précoce, spontané ou médical, d’une grossesse, est un sujet de société, une étape potentielle de la maternité : reconnaissons-la.
Un arrêt précoce de la grossesse, c’est, pour de nombreuses femmes et de nombreux couples, un événement qui entraîne des conséquences aussi bien physiques que psychologiques. Pour beaucoup, c’est un traumatisme; et même si toutes et tous ne le vivent pas mal, il ne s’agit certainement pas d’un événement anodin.
C’est justement parce qu’un arrêt précoce de grossesse, spontané ou médical, est un phénomène fréquent, une expérience largement partagée, qu’il est absolument nécessaire de prendre en compte son impact, en termes de santé publique, tant physique que mentale. L’arrêt précoce d’une grossesse n’est pas une maladie, mais c’est un événement marquant qui nécessite du temps pour s’en remettre. Tant pour la femme que pour son ou sa partenaire.
Le manque d’information publique sur les différentes aides qui peuvent être apportées aux femmes qui vivent un arrêt naturel de grossesse et à leur partenaire, afin de les aider à traverser cet événement et à envisager sereinement une future grossesse, explique partiellement l’absence de repères pour les femmes concernées et leur partenaire. L’impact et les conséquences des arrêts précoce de grossesse sont encore trop souvent sous‑estimés et cela peut rendre le deuil périnatal des femmes et de leur partenaire particulièrement difficile à traverser, voire contribuer à augmenter le risque de dépression post-partum lors de la prochaine grossesse.
Le corps médical, les professions paramédicales et les autres professionnel.le.s de la naissance et de la périnatalité qui accompagnent les femmes et le couples qui subissent une arrêt précoce de la grossesse pallient du mieux qu’ils le peuvent l’absence d’un protocole de prise en charge. Mais il est absolument indispensable de mettre en place des campagnes d’information sur les arrêts précoces de grossesse et de créer des unités de prise en charge spécifiques et multidisciplinaires de la douleur physique et mentale, souvent liée à cette épreuve.
Reconnaître et prendre en compte dans la loi les arrêts précoces de grossesse, c’est mettre fin à une discrimination des femmes
Reconnaître et prendre en compte dans la loi les arrêts précoces de grossesse, c’est prendre soin des personnes qui les vivent ; c’est permettre à ces femmes et ces couples de sortir de l’isolement, du silence, insidieux et violent, pour un « mieux vivre ensemble » ; c’est accepter que les parcours vers la parentalité soient pluriels et qu’ils sont tous dignes d’être pris en considération.
Reconnaître et prendre en compte dans la loi les arrêts précoces de grossesse, c’est mettre fin à une discrimination des femmes, contraintes de puiser dans leurs congés de maladie pour un événement qu’elles subissent et qui tient uniquement à leur condition de femme.
Reconnaître et prendre en compte dans la loi les arrêts précoces de grossesse, qu’ils soient spontanés ou médicaux, c’est s’inscrire dans la voie de l’évolution sociale et de l’égalité des genres, à l’exemple de la Nouvelle-Zélande, qui a adopté en mars 2021 une loi accordant un congé spécial de trois jours, tant à la personne traversant une fausse couche qu’à son ou sa conjoint.e.
Reconnaître et prendre en compte dans la loi les arrêts précoce de grossesse, c’est, aussi, faire barrière au danger de récupération de la détresse des femmes (et de leur partenaire) qui traversent cette épreuve par les mouvements ultra-conservateurs et à leurs velléités d’instrumentaliser le drame vécu pour pousser des idéologies rétrogrades et menacer les droits acquis des femmes en matière d’interruption volontaire de grossesse.
Reconnaître et prendre en compte dans la loi les arrêts précoces de grossesse, c’est reconnaître l’épreuve et la douleur vécues, la peine ressentie par les femmes, dans leur corps et dans leur tête, c’est leur donner un outil de résilience et la possibilité de vivre ces moments dans une solitude et une incompréhension, voire une colère, considérablement moindres.
Reconnaître et prendre en compte dans la loi les arrêts précoces de grossesse, c’est combler une lacune et un vide juridiques, c’est donner un cadre qui résorbe ainsi en partie l’épreuve vécue et qui évite de se réfugier dans l’idée que la seule réparation possible consisterait dans la sur-incarnation de l’embryon, dans un nom, une inscription légale, qui lui donnerait une existence juridique. La fin prématurée d’une grossesse est une question de santé publique, et non de statut civil de l’embryon.
L’arrêt précoce d’une grossesse s’apparente au deuil, dans la douleur vécue ; pour autant, il ne s’agit pas du deuil d’un enfant, mais de celui d’une parentalité projetée ; réparer ne consiste pas à dire que l’embryon était un enfant, mais à reconnaître l’épreuve physique et le sentiment de perte.
Reconnaître et prendre en compte dans la loi les arrêts précoces de grossesse, c’est humaniser l’approche de la société de ce sentiment de deuil et rencontrer un besoin de santé publique.
La reconnaissance d’un droit à un congé spécifique en cas d’arrêt précoce de grossesse, qu’il soit spontané ou médical, est un sujet de société qui nous concerne toutes et tous.
Mobilisez-vous avec nous, faisons-nous entendre ! Partout en Europe, des femmes et des hommes se lèvent pour briser les tabous et combler le vide juridique stigmatisant pour les femmes et les couples qui traversent l’épreuve d’un arrêt précoce de la grossesse: en France, en Allemagne, en Autriche, des pétitions rassemblent plusieurs milliers de signatures pour demander que le législateur se saisisse de ce problème de société ! En Belgique aussi, désormais.
Amélie Meulder, juriste, féministe, ayant subi deux fois un arrêt précoce de grossesse
Simonne Stuyck, auteure du blog Mamma2be
Miriam Ben Jattou, juriste, fondatrice et présidente de l’ASBL Femmes de droit
Nathalie Meunier, doula, ayant subi un arrêt précoce de grossesse
Céline Timmermans, psychologue clinicienne et psychothérapeute universitaire, spécialisée en périnatalité
Marine Vanwetswinkel, doula
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