Victoire Ingabire Umuhoza
« Si Kagame est si populaire, pourquoi ses adversaires crédibles ne peuvent-ils pas se présenter contre lui aux élections? »
La victoire de Paul Kagame aux dernières élections présidentielles rwandaises démontrent que « le pays a encore un long chemin à parcourir sur la voie de la démocratie », estime l’opposante politique Victoire Ingabire.
Depuis la fin de la guerre civile et le génocide des Tutsis en 1994, le parti au pouvoir au Rwanda, le Front patriotique rwandais (FPR), domine l’espace politique. Son chef, Paul Kagame, a obtenu plus de 90 % des voix lors des trois dernières élections présidentielles et semble avoir battu son propre record cette semaine ; les résultats provisoires indiquent qu’il a obtenus 99,15 % des voix. Mais cette victoire a été remportée en excluant plusieurs opposants de premier plan – dont moi – de la course aux élections. Les élections qui viennent de s’achever ne sont donc pas différentes des précédentes et ne font que souligner l’absence de démocratie dans le pays.
En 2010, je suis rentré volontairement au Rwanda après mon exil aux Pays-Bas, avec l’intention d’enregistrer mon parti politique et de me présenter aux élections présidentielles prévues plus tard dans la même année. Mais j’ai été arrêtée immédiatement après avoir ouvertement critiqué la politique de réconciliation du gouvernement rwandais en relation avec le génocide de 1994, et je fus condamnée à l’issue d’un procès qui a été largement condamné comme étant politiquement motivé et grossièrement injuste.
J’ai été libérée de prison par le Président Kagame en 2018, sous condition dont l’interdiction de quitter le pays sans l’autorisation du ministre de la Justice. J’ai maintes fois demandé cette autorisation mais mes demandes sont restées lettre morte.
Cinq ans après ma libération, j’ai déposé une demande de réhabilitation auprès de la Haute Cour du Rwanda afin de pouvoir me présenter aux dernières élections présidentielles et me rendre à l’étranger pour rendre visite à ma famille aux Pays-Bas. La Cour a rejeté ma demande. Au cours des 14 dernières années, j’ai été empêchée non seulement de me présenter en tant que représentant politique, mais aussi de retrouver mes proches. J’ai manqué aux mariages de mes enfants, j’ai raté la naissance de mes petits-enfants, et je n’ai pas pu rendre visite à mon mari gravement malade.
Amnesty International a décrit les élections de 2017 au Rwanda comme s’étant déroulées dans un «climat de peur et de répression», tandis qu’en 2024, d’autres challengers crédibles du parti au pouvoir, tels que Bernard Ntaganda, ont également été confrontés à des problèmes juridiques systématiquement injustes. Comme moi, il a été arrêté au début de la période d’enregistrement des candidats à la présidence en 2010 et a purgé quatre ans de prison. Comme moi, il a demandé à être réhabilité, dans l’espoir de participer aux élections de 2024, mais le tribunal a rejeté son appel. Tout cela s’inscrit dans le cadre de la répression de la dissidence qui a caractérisé les 24 années de règne de M. Paul Kagame.
Mais le fait d’interdire légalement aux candidats de se présenter n’est pas la seule façon dont le système a empêché les opinions divergentes d’être entendues. La Constitution a été modifiée l’année dernière pour permettre la tenue simultanée des élections présidentielles et parlementaires. Mais les médias publics et indépendants du Rwanda ont massivement couvert la campagne présidentielle au détriment des candidats aux élections législatives. Ce paysage médiatique biaisé a empêché les aspirants parlementaires de communiquer de manière adéquate leurs programmes politiques, étouffant ainsi toute discussion publique sur l’avenir du Rwanda. Ce phénomène ne fait que renforcer le manque de diversité résultant de l’exclusion des candidats à la présidence comme moi.
Si j’avais été autorisée à me présenter, j’aurais discuté de la nécessité d’une réforme de la gouvernance au Rwanda pour permettre à notre pays de parvenir à une véritable démocratisation par le biais d’un dialogue inclusif entre les acteurs politiques et ceux de la société civile. J’aurais également souligné l’importance de renforcer notre politique de réconciliation en rappelant toutes les victimes de l’histoire trouble du Rwanda.
Au lieu de cela, les électeurs n’ont reçu aucun plan concret pour s’attaquer aux vrais problèmes, tels que les inégalités sociales croissantes, l’augmentation de la dette publique, la détérioration des relations avec les pays voisins – en particulier la République démocratique du Congo et le Burundi-, ainsi que le problème des réfugiés rwandais qui sont installés dans les États voisins ou dispersés dans le monde entier. Ces défis risquent d’accroître l’insécurité au Rwanda dans un avenir proche.
Le FPR tient à s’attribuer le mérite de la reprise économique du Rwanda, qui a vu le PIB augmenter en moyenne de 7,2 % par an entre 2012 et 2022. Mais, il est moins loquace sur les rapports de la Banque mondiale selon lesquels près de la moitié de la population vit avec moins de 1,52 € (1,65 £) par jour.
Pendant la campagne, M. Paul Kagame s’est efforcé de défendre la démocratie rwandaise, qui, selon lui, repose sur le caractère unique du pays. Il a appelé la jeunesse rwandaise à la défendre contre ceux qui critiquent le gouvernement sur les médias sociaux. A deux reprises au cours de la campagne, il a même trouvé le temps de mentionner mon nom de manière méprisante, alors que je n’avais pas le droit d’y participer.
Interrogé sur ses priorités pour les cinq prochaines années, M. Paul Kagame a répondu qu’il entendait poursuivre sur la même voie de la reconstruction du Rwanda. Mais mon pays ne prospérera vraiment que s’il dispose d’une démocratie qui fonctionne et qui admette des voix dissidentes, le débat contradictoire et des perspectives alternatives.
Le fait de gagner continuellement les élections présidentielles avec près de 100 % des voix n’est pas un signe de popularité, mais d’absence de concurrence. Ma question est la suivante : si Mr Paul Kagame est si populaire, pourquoi ses adversaires crédibles ne peuvent-ils pas se présenter contre lui aux élections ?
Une fois de plus, ce résultat électoral a démontré que le Rwanda a encore un long chemin à parcourir sur la voie de la démocratie.
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