Victoire Ingabire Umuhoza
Sans réformes politiques, les Rwandais continueront de chercher refuge à l’étranger (carte blanche)
Les Rwandais et les amis du Rwanda ne devraient pas laisser l’histoire se répéter mais plutôt s’efforcer à exiger une réforme des méthodes de gouvernance afin d’inspirer des générations futures de Rwandais à conjuguer leurs efforts pour le développement de leur pays tout en contribuant pacifiquement à celui de la région, selon l’opposante politique Victoire Ingabire Umuhoza.
Depuis que le Rwanda, pays vers lequel le Royaume-Uni veut expulser les demandeurs d’asile, est devenu indépendant le 1er juillet 1962, le pays produit des réfugiés en raison des régimes successifs qui se sont maintenus au pouvoir par tous les moyens possibles, refusant de mettre en œuvre des réformes de bonne gouvernance. Les répercussions ont été les cycles de violence qui ont conduit les Rwandais à chercher refuge dans d’autres pays.
Déjà l’indépendance du Rwanda a été précédée par une révolution de 1959 qui a forcé certains Rwandais à s’exiler.
Le premier parti qui a dirigé le Rwanda, le Parti pour l’émancipation des Hutu, Mouvement Démocratique Républicain-Parmehutu (MDR-Parmehutu) a progressivement transformé le système politique qui était multipartite en un système à parti unique. De plus, il n’a fait aucune tentative pour atténuer les griefs sociaux engendrés par la révolution. Il ne s’est pas engagé directement avec ces Rwandais – qui ont fui le Rwanda pendant la révolution pour convenir de leur retour sûr et volontaire dans leur patrie.
En 1973, le président rwandais de l’époque, Grégoire Kayibanda a été renversé par un coup d’État qui a conduit d’autres rwandais à l’exil. Le nouveau parti au pouvoir, le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND) a promulgué des lois faisant du Rwanda un État à parti unique et a remplacé les célébrations de l’indépendance du 1er juillet par les célébrations du 5 juillet, date du coup d’état militaire qui a renversé le régime du MDR- Parmehutu.
Le MRND a régné sur deux décennies au cours desquelles son président, Juvénal Habyarimana a été le seul candidat présidentiel à remporter consécutivement des élections avec près de 100 % des voix. Bien que Habyarimana ait été applaudi pour ses réalisations économiques, le maintien de l’ordre et de la sécurité au Rwanda ainsi que ses bonnes relations avec les États de la région, son régime a été critiqué pour ses violations des droits de l’homme et son manque de démocratie.
Comme son prédécesseur, le gouvernement du MRND n’a pas résolu les griefs sociaux des Rwandais qui ont fui le Rwanda pendant la révolution de 1959 et après le coup d’État de 1973. Ces grognes sociales ont également été partagées par les Rwandais à l’intérieur du pays, y compris les familles et les amis de ceux qui ont fui et des voix dissidentes au Rwanda.
Bien qu’il soit clair que des réformes de la gouvernance étaient nécessaires depuis le début, le parti au pouvoir, le MRND, a tardé à les mettre en place. Et quand il l’a fait, c’était trop tard.
Au debut des années 1990, le système du parti unique a été remplacé par le multipartisme au Rwanda. En même temps, le Front patriotique rwandais (FPR) a lancé une attaque contre le pays. Le FPR était composé principalement de descendants de Rwandais partis en exil après la révolution de 1959 susmentionnée.
Des négociations entre le FPR et le gouvernement de coalition au Rwanda composé des different partis politiques ont été conclues en 1993. Mais en 1994, le président du Rwanda Juvénal Habyarimana a été assassiné et la guerre civile a repris et a abouti au génocide contre les Tutsi.
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En 1994, le FPR remporte la guerre et prend le pouvoir. Bien qu’une partie de la population rwandaise qui a fui le Rwanda pendant la révolution de 1959 est revenue au pays, la guerre civile et le génocide contre les Tutsi ont entraîné un nouvel exode de centaines de milliers de Rwandais vers l’exil.
Le FPR a mis en place une démocratie consensuelle qui visait à prévenir de nouvelles violences ethniques. Ce système politique qui était censé être un système multipartite s’est transformé au fil du temps en un système à parti unique qui neutralise l’opposition politique, restreint le pluralisme et limite les libertés civiles.
Comme le régime qui l’a précédé, le régime actuel ne célèbre pas le jour de l’indépendance du 1er juillet de chaque année, mais plutôt le 4 juillet, jour où il a pris Kigali la capitale du pays.
Le président actuel du Rwanda, Paul Kagame dirige le pays depuis plus de deux décennies, remportant les élections avec près de 100 % des voix. Le Rwanda une fois de plus est félicité pour ses réalisations économiques et le maintien de l’ordre et de la stabilité sur son territoire, mais à nouveau critiqué pour ses violations des droits de l’homme et sa politique d’exclusion.
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Il y a cependant une différence dans la façon dont le FPR a choisi de résoudre le problème des réfugiés rwandais.
La politique de sécurité du FPR repose sur la stratégie selon laquelle toute menace, réelle ou supposée, doit être anéantie au-delà des frontières du Rwanda car le Rwanda est un petit pays densément peuplé et, par conséquent, n’a pas d’espace pour mener la guerre sur son territoire.
C’est dans cette perspective que l’armée rwandaise a envahi son État voisin de l’ouest, la République Démocratique du Congo (RDC) à la fin des années 1990 dans le but de combattre l’ex armée rwandaise qui s’était réfugiée en RDC après la guerre civile et le génocide de 1994. Au cours de cette offensive, les Nations Unies ont rapporté que des millions de civils ont été massacrés, y compris des réfugiés rwandais et des ressortissants congolais. D’autres centaines de milliers de réfugiés rwandais ont été retournés de force dans leur patrie.
Dans ses efforts de faire revenir les réfugiés rwandais chez eux, le FPR a fait en sorte que l’ONU adopte une clause de cessation de statut de réfugiés en déclarant que le Rwanda a la sécurité et qu’aucun citoyen rwandais ne devrait être considéré comme un réfugié. Le gouvernement du FPR a également mis en œuvre des initiatives au Rwanda et à l’étranger tel que « come and see » et « Rwanda day » dans le but de faire rentrer les réfugiés rwandais au Rwanda.
Cependant, il y a encore plus de 200 000 réfugiés rwandais à travers le monde, qui ne veulent toujours pas rentrer au Rwanda aujourd’hui.
Les souvenirs dévastateurs de la guerre civile, du génocide contre les Tutsis et des réfugiés tués dans la forêt du Congo sont encore frais dans les têtes de millions de Rwandais
Il y a des raisons impérieuses qui expliquent pourquoi les réfugiés rwandais ne rentrent pas alors que d’autres continuent de quitter le Rwanda pour se réfugier à l’étranger. Les souvenirs dévastateurs de la guerre civile, du génocide contre les Tutsis et des réfugiés tués dans la forêt du Congo sont encore frais dans les têtes de millions de Rwandais. En l’absence d’une politique globale de réconciliation en place au Rwanda, il est peu probable que les réfugiés reviennent. Plus des Rwandais vont plutôt quitter le pays. En outre, la pauvreté et les inégalités persistantes et généralisées obligent les Rwandais à quitter le pays et découragent les réfugiés qui envisageaient un retour dans leur pays. Bien que la communauté internationale ait loué les réalisations économiques de tous les régimes qui ont dirigé le Rwanda, le Rwanda reste aujourd’hui classé parmi les pays les moins avancés et les 25 pays les plus pauvres et les plus vulnérables du monde, 60 ans après l’indépendance.
La persécution politique et les violations des droits de l’homme sont également monnaie courante au Rwanda et celles-ci dissuadent les réfugiés rwandais de rentrer chez eux et incitent ceux qui se trouvent dans le pays à partir. Quiconque ose critiquer les politiques du gouvernement est persécuté et qualifié « d’ennemi de l’État ayant l’intention de déstabiliser le Rwanda ».
En 2010, juste parce que j’ai remis en question les politiques du gouvernement rwandais, j’ai été accusée faussement, notamment de négation du génocide, et condamnée à 15 ans d’emprisonnement. Mon recours auprès de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples m’a innocenté de tout crime et j’ai été libérée en 2018 par grâce présidentielle après avoir passé huit ans en prison dont cinq à l’isolement.
Mon histoire, et celles d’autres personnes qui ont vécu et continuent de vivre des expériences similaires ou pires montrent que le Rwanda n’a pas encore adopté les valeurs démocratiques, y compris le respect des droits de l’homme et l’état de droit.
Depuis son indépendance, le système politique des régimes qui ont successivement dirigé le Rwanda s’est construit autour d’un homme fort plutôt que d’institutions fortes. Il est inadmissible que des puissances extérieures ferment les yeux sur la répression et apportent constamment un soutien politique et diplomatique aux régimes répressifs. Le résultat a été que les institutions de l’État ont été affaiblies, les droits de l’homme et les valeurs démocratiques ont été bafoués et le problème des réfugiés rwandais est resté sans solution, provoquant l’instabilité au Rwanda et une source de tensions politiques dans la région des Grands Lacs africains.
Au cours de deux dernières décennies, depuis que le FPR a pris le pouvoir, le Rwanda a connu des tensions politiques avec presque tous ses voisins, les accusant d’accueillir des réfugiés rwandais qui veulent renverser ses dirigeants actuels par la force.
Continuer dans cette direction signifie que les réfugiés rwandais et les Rwandais à l’intérieur du pays – dont la moitié est aujourd’hui âgée entre 15 et 44 ans, qui réalisent aujourd’hui que leurs libertés civiles sont bafouées par différentes restrictions imposées par le gouvernement actuel sous prétexte de vouloir prévenir un autre conflit ethnique et d’accélérer le développement – risquent à prendre la situation entre leurs mains et se battre pour recouvrer leurs droits, de la même manière ou d’une manière différente que le FPR l’a fait en 1990, au risque de replonger le Rwanda dans son sombre passé qui pourrait créer un nouvel exode de Rwandais en exil. Rappelons que les personnes agées de moins de 44 ans qui étaient mineures ou même pas nées lorsque la guerre civile et le génocide contre les Tutsi ont eu lieu sont majoritaires aujourd’hui au Rwanda.
Ne pas laisser l’histoire se répéter
Par conséquent, les Rwandais et les amis du Rwanda ne devraient pas laisser l’histoire se répéter mais plutôt s’efforcer de conjuguer leurs efforts pour qu’il y ait un changement des méthodes de gouvernance qui vont inspirer des générations futures de Rwandais à travailler ensemble pour le développement de leur pays tout en contribuant pacifiquement à celui de la région.
C’est pourquoi les réformes de la gouvernance au Rwanda sont aujourd’hui un préalable indispensable pour éviter que l’histoire ne se répète au Rwanda et pour mettre fin aux tensions dans la région des Grands Lacs africains.
Cette discussion inclusive permettrait de convenir et de créer un environnement qui permettra le retour sûr et volontaire des réfugiés rwandais et faciliterait l’instauration de la stabilité à long terme au Rwanda et dans la région des Grands Lacs africains
La réforme peut être concrètement réalisée à travers un dialogue intra-rwandais entre le gouvernement, l’opposition et les organisations de la société civile basées au Rwanda et à l’extérieur, notamment composées de réfugiés rwandais. Cette discussion inclusive permettrait de convenir et de créer un environnement qui permettra le retour sûr et volontaire des réfugiés rwandais et faciliterait l’instauration de la stabilité à long terme au Rwanda et dans la région des Grands Lacs africains.
La recherche constante de solutions par la voie du dialogue est l’un des principes fondamentaux de la constitution rwandaise et il est aligné sur la Stratégie des Nations Unies pour la consolidation de la paix, la résolution et la prévention des conflits dans la région des Grands Lacs adoptée en 2020.
Victoire Ingabire Umuhoza, présidente du parti d’opposition DALFA-UMURINZI.
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