Carte blanche
Réponse au silence de plomb des médias face aux manifestations contre les violences faites aux femmes
Tel un boomerang renvoyé aux médias, voici notre réponse au silence de plomb qui a régné sur la manifestation de lutte contre les violences faites aux femmes qui a eu lieu à Bruxelles.
En tant que membres de la moitié de l’humanité assignée au silence depuis des siècles, j’aimerais adresser aux médias cette série de questions d’utilité publique : devons-nous prendre des cours de chant guttural et nous mettre au death metal pour que nos voix graves et chargées de maux vous parviennent ? Jusqu’à quand une campagne internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes va-t-elle être reléguée comme un sujet de seconde zone? Encore combien de temps, faudra-t-il pour que des personnes s’exprimant sur les violences sexuelles, physiques et psychologiques fassent le poids dans les médias face à une poignée de joueurs ou de gros durs transpirants de virilité?
Le dimanche 27 novembre 2022, nous nous sommes réuni·es dans les rues de Bruxelles, les cages thoraciques chargées de rage, les cordes vocales enflammées, les lèvres en feu pour appeler les pouvoirs publics à assumer pleinement leurs responsabilités dans la lutte contre les violences faites aux femmes tant la situation actuelle est catastrophique.
Les chiffres sont alarmants. D’après La Fédération Laïque de Centre de Planning Familial, 1 femme sur 3 (depuis l’âge de 15 ans) est victime de violence physique ou sexuelle en Belgique. En 2022, en Belgique, d’après l’asbl Stop Féminicides, au moins 20 femmes ont déjà été tuées parce qu’elles étaient des femmes. L’association SOS Viol comptabilise de son côté 3.455 viols en 2018, soit 9,5 plaintes par jour. D’après un récent sondage d’Amnesty International, 1 jeune belge sur 3 pense qu’il est normal d’insister pour avoir des rapports sexuels et 77 % des Belges pensent que la Justice n’est pas efficace pour retrouver l’agresseur et que cela peut également être un frein pour les victimes.
En marge de cet évènement majeur organisé par la plateforme Mirabal dans le cadre de la campagne internationale contre les violences à l’égard des femmes avait lieu un match de foot qui a, comme nous avons pu le constater, accaparé sans surprise l’entièreté de votre attention.
Pourtant ce jour-là, des milliers de femmes avaient ôté leurs capes d’invisibilité. Le défilé de toutes les teintes de l’arc-en-ciel a mis à terre le ciel couleur suicide de ce dimanche pluvieux. Il était vraiment difficile de ne pas les entendre. Le débit des slogans et des demandes coulait à bloc, des mots trop longtemps retenus, contenus, tus. Des émotions plein la bouche, un flot de paroles et de chants se sont déversés dans l’air humide.
Difficile aussi de ne pas les voir battre le pavé du centre-ville de Bruxelles. Du Mont des Arts au quartier des Marolles, des Sablons au Palais de Justice, ielles ont fini par inonder la rue de la Régence jusqu’à éclabousser par leurs slogans l’icône déchue de la place Royale. Devons-nous ériger la statue de Tarana Burke sur un socle ? Monter à cheval avec un étendard ? Graver leurs revendications dans du bronze ? Pour établir et faire admettre, une fois pour toute, que le monde a changé depuis le mouvement Metoo ?
Il n’est plus envisageable pour nous, une fois encore de garder le silence, de rester spectateur·ice·s de ce déversement d’images purulentes de virilité qui ont envahi les médias pendant une semaine suite à ce qui a été qualifié d’émeutes post match de foot. Nous sommes en colère et fatigué.e.s. Fatigué.e.s de regarder sagement ces concours de testostérone où chaque camp dégaine à chaque fois son matos : grosses matraques; grosses montées d’adrénalines; grosses dérives racistes; grosses frustrations; grosses caméras; le tout souligné par un son d’hélicoptère histoire de nous faire frissonner de terreur. Non seulement ce n’est pas une dizaine de trottinettes cramées après un match de foot qui va nous effrayer mais nous souhaitons vous signifier que cette mascarade a assez duré. Serait-il possible de cesser d’être interrompu.e.s dans nos légitimes revendications lorsque que l’on parle d’un sujet aussi vital, par un but, une trottinette en feu ou deux coups de sifflets ?
Nous appelons les journalistes et toutes personnes actives dans le secteur des médias à une prise de conscience : votre silence sur cette manifestation perpétue la violence envers les victimes. Il est intolérable dans le sens où il crée une chambre d’écho aux viols et agressions sexuelles. Les milliers de témoignages depuis les mouvements metoo et metoo-inceste, n’ont cessé de nous le rappeler: « ne rien dire », « ne pas intervenir », « laisser faire » c’est non seulement se rendre complices des violences mais aussi les encourager. Ceci est valable partout, tout le temps et à tous les niveaux de cette satanée culture du viol qui gangrène notre civilisation. C’est pourquoi, nous vous exhortons à joindre vos forces aux nôtres pour cesser la propagation de cette maladie du silence.
Saurez-vous à l’avenir faire résonner à leur juste puissance les messages portés lors de cette manifestation jusqu’à faire trembler, enfin, les portes du palais de justice?
Pour que demain ne ressemble pas à hier.
Cette carte blanche a été écrite par Luce Goutelle (citoyenne, artiste, chercheuse sur le changement de paradigme sociétal et directrice de Looops asbl). Avec le soutien de Nadine Farah Naffah, Sophie Delacollette, Héloise Meire, Alice Martinache, Jessica Gazon, Laurence Warin, Ségolène Neyroud, Laurette Vankeerberghen, Helene Collin, Vanessa, Sophie Schneider, Aurore Leduc, Chiara Casati, Muriel Legrand, Olivia Szwarcburt, Julie Maes, Piera De Nicolao, Pauline Fonsny, Christine Piérard, Fanny Devaux, Eugenia Fano, Estelle Czernichowski, Louise Manteau, Jeanne Delobel, Chloé De Bon, Ichraf Nasri, Tamara Maes, Sofia Dati, Elise Abraham, Nina Lombardo, Emilienne Tempels, Sania Tombosoa, Laure Chartier, Aurelie Trivillin, Nadège Ouédraogo, Clarice Calvo-Pinsolle, Amelie Plateau, Arimata, Typhen Rocchia, Anne Marsaleix, Aude Rambaud, Mériem Houara-Oujdi
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Réponse à votre silence de plomb »
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