André Flahaut
Renouveler la démocratie sans la perdre en chemin (carte blanche)
La démocratie est en danger : ce constat, nous l’avons déjà tous entendu. L’idée presque banale d’une crise de la représentation a été, en effet, massivement relayée par les médias qui pointent tantôt le populisme et l’extrémisme, tantôt le rejet exprimé par certains vis-à-vis de nos institutions. Pour répondre à cette crise, les projets de réformes sont nombreux et divers. Toutefois, face à eux, nous devons rester prudents, écrit André Flahaut, car il ne saurait être question de brader la démocratie ni de précipiter sa chute.
Défendre notre modèle démocratique
L’Histoire montre la fragilité de notre modèle politique et de nos institutions. Pour que la démocratie demeure forte, nous devons réaffirmer ce qui en constitue le cœur, ses valeurs d’égalité, de liberté, de solidarité. Ces valeurs habitent notre système politique et électoral.
Concrètement, l’obligation de vote et le scrutin proportionnel sont les garants de la représentativité de nos Assemblées. Les remettre en question, c’est risquer de retourner la démocratie contre elle-même ; risquer aussi de renforcer les clivages et d’accentuer la montée des extrêmes.
Les limites de la consultation
Sous différentes formes et au sein d’institutions diverses, de nouveaux modes de démocratie sont revendiqués ou proposés aux citoyens. La consultation populaire est l’outil privilégié en Belgique. À cet égard, citons « Get up Wallonia ! », unpayspourdemain.be, ou encore des consultations plus modestes et plus ciblées, comme « Donne ta voix pour le climat » réalisée par le Forum des Jeunes. Ces consultations, telles qu’elles sont mises en pratique, sont à mes yeux assez largement insatisfaisantes.
La consultation citoyenne unpayspourdemain.be, pourtant présentée comme un modèle du genre, n’en reste pas moins le témoignage flagrant des fractures qui traversent notre société. Force est de constater, par exemple, que tous les citoyens n’ont pas d’ordinateur ni de connexion internet[1] pour y participer. Oui, la fracture numérique est une réalité ! La nier, c’est contribuer à l’alimenter. La conséquence est claire : la faible représentativité de la consultation.
De même, seule une infime partie des jeunes a été touchée par la consultation en ligne « Donne ta voix pour le climat ». L’anonymisation et la quasi-absence d’interaction entre les répondants font du rapport publié une compilation de pensées et d’idées décousues. Des idées qui, finalement, ne sont ni soutenues ni soutenables par quiconque. Sans volonté de construire une action cohérente, ces consultations ne sont rien de mieux qu’un brainstorming imposant et coûteux dont le manque de représentativité et le défaut de transparence réduisent sérieusement la légitimité.
Éduquer et écouter
Il n’empêche, nous devons reconnaître qu’il existe chez les citoyens une réelle volonté de s’exprimer et de voir leurs idées mieux prises en compte. Les jeunes et les moins jeunes, les porteurs d’idées et de projets sont en attente de réponses. Cette attente, il est essentiel de la saisir avec les outils qui conviennent et sur la base de dispositifs respectueux des fondements de notre démocratie.
La démocratie, c’est œuvrer à décider ensemble d’un projet en commun. Sa pratique, ses usages et ses institutions doivent s’apprendre dès le plus jeune âge. Le sens du collectif, quant à lui, mérite d’être entretenu tout au long de la vie. Au reste, impossible de nier que le rejet des institutions est souvent le fruit de l’ignorance et de l’incompréhension. Une ignorance parfois destructrice à laquelle l’éducation doit, sans relâche, travailler à répondre.
Enseigner la citoyenneté, c’est également outiller les esprits pour lutter contre le racisme, le rejet de l’autre et toutes les formes de discrimination. C’est préparer chaque adulte en devenir à la vie sociale et politique. C’est donner à chacun les moyens d’affirmer la légitimité de sa parole et de ses idées, tout en respectant celles des autres.
Les gardes fous de la démocratie
En somme, la mise en place de mesures et de pratiques ouvertes sur l’autonomisation des citoyens et l’écoute institutionnelle représente une chance pour la démocratie. Ces processus, ces procédures doivent cependant disposer de gardes fous.
En effet, souvenons-nous du caractère précaire de notre système politique et des limites inhérentes à l’écoute ; n’ignorons rien de nos réalités sociales et numériques ; refusons tout esprit destructeur. Par suite, le pouvoir judiciaire comme garant de l’État de droit et les Assemblées comme lieu de représentation populaire doivent toujours conserver un œil attentif et critique sur ces nouveaux dispositifs afin de ne jamais perdre la démocratie sur le bord du en chemin de son renouveau.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici