Carte blanche
Refinancer la Défense n’est pas synonyme de carnage social (carte blanche)
Les budgets de la Défense ne peuvent servir de variable d’ajustement des finances publiques, estime Willy Struys, professeur émérite à l’ERM.
Menacée par une procédure pour déficit excessif, la Belgique doit soumettre à la Commission européenne un projet de trajectoire budgétaire soutenable. Parmi les possibilités d’ajustement, la Défense constitue une variable importante en raison de ses dimensions nationale et internationale.
La Défense versus le social, un sophisme fallacieux
La guerre froide a fait place à une paix chaude où la principale préoccupation était de bénéficier au plus vite des dividendes de cette période de concorde, dépensés avec enthousiasme… avant même d’exister. Le début de la guerre en Ukraine en 2014 et l’annexion de la Crimée ont incité de nombreux pays européens à prendre conscience de la menace et à augmenter leur effort de défense.
En Belgique, il a fallu cinq années de plus pour leur emboîter le pas. Aujourd’hui, de nombreux politiques ont fini par se déclarer en faveur d’une défense efficace et efficiente, et donc d’une augmentation du budget de la défense. Le débat reste cependant sensible, car d’aucuns continuent de soutenir que tout euro dépensé pour la
Défense l’est nécessairement au détriment des acquis sociaux, prédisant même un carnage social en cas d’augmentation du budget de la Défense.
Pourtant rien n’est moins vrai! En 2022, seul un famélique 1,85% de l’ensemble des dépenses publiques a été consacré à la Défense, avant-dernière dans l’ordre des priorités. La Santé et la Sécurité sociale représentaient respectivement 15,26% et 38,21%.
On ne construit pas de paradis social et économique sur un enfer sécuritaire!
De 1995 à 2022, les dépenses publiques ont augmenté de 64,16%, celui de la Défense de «seulement» 8,23%, en contraste flagrant avec la Santé (119,11%) et la Sécurité sociale (86,19%). Plus significatif encore, la première fois où les dépenses de la Défense ont été supérieures à 1995 a été l’année 2022 (merci Poutine…).
La Défense peut donc difficilement être considérée comme une rivale des dépenses sociales: en 2022, le budget de la Défense s’élevait à environ 1.000 euros par famille, soit… trente fois moins que les dépenses de Santé et de protection sociale. Le dilemme « beurre ou canons » ne constitue donc pas un Catch-22 car il ne repose pas sur un paradoxe impossible à résoudre ni sur un choix impossible à réaliser. Au contraire! Le développement harmonieux des relations politiques, sociales et économiques ne peut se concrétiser que dans un espace stable, essentiel au développement économique. On ne construit pas de paradis social et économique sur un enfer sécuritaire !
Certes, l’État doit se serrer la ceinture. Il appartient bien entendu aux décideurs politiques de décider où il faut faire des économies. Notons simplement que le secteur qui a le plus progressé est celui des Communautés et des Régions: 135,97%. C’est précisément là où la duplication et le gaspillage prolifèrent! Les entités fédérées bénéficient également de la Défense: est-il présomptueux de proposer leur participation financière?
La chasse-patate des dépenses de défense belges
Au début de 2022, seuls six pays membres de l’OTAN avaient atteint la barre des 2% de leurs PIB investis dans la Défense, norme convenue à l’horizon 2024. La Belgique stagnait à 1,04%.
L’Alliance estime que 22 membres européens sur 29 dépasseront cet objectif cette année. La Pologne (avec 4,12 %!) et l’Estonie dépassent même les États-Unis! À l’autre extrémité du classement, la Belgique (1,30%) devance de très peu le Luxembourg (1,29 %), la Slovénie (1,29 %) et l’Espagne (1,28%).
La Belgique a certes augmenté sa contribution, mais les alliés européens ont accéléré encore davantage leur effort. Depuis 2021, c’est le Luxembourg qui mène la danse avec un taux de croissance de 174,31 %. La Belgique s’apparente, comme dans le jargon cycliste, à une chasse-patate, un coureur qui s’efforce de rattraper le peloton qui s’éloigne, et voit se rapprocher la voiture-balai!
En tant que nation hôte du siège de l’OTAN et du SHAPE, nous devons absolument restaurer notre crédibilité et faire preuve de davantage de solidarité. Alors que l’Article 5 du Traité de Washington est abondamment cité, il est impérieux de se référer également à l’Article 3, stipulant que «chaque membre doit assurer de façon efficace le développement de ses propres moyens afin de se prêter mutuellement assistance en maintenant et accroissant sa capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée».
La Défense, bien public et acteur économique
Les budgets de la Défense ne peuvent servir de variable d’ajustement des finances publiques. Par pur souci d’efficacité sociale et économique, la politique de défense ne peut se fonder sur des considérations budgétaires. Elle doit protéger notre démocratie et nos libertés, ce qui est bien moins coûteux que d’avoir à les rétablir par la suite.
« La guerre coûte cher, mais la liberté et la paix n’ont pas de prix. »
Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire (ERM)
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