Carte blanche
Pratiques commerciales et propagande politique dans les écoles: l’heure est à la vigilance (carte blanche)
Une récente polémique à Huy, concernant la remise d’un prix PS à des élèves s’étant distingués durant l’année scolaire, a relancé le débat autour de la propagande politique dans les écoles. Pour Bernard de Commer, ancien permanent syndical, il est nécessaire de développer l’esprit critique des enfants.
Une pratique propre à la ville de Huy, mais déjà ancienne, a agité, très récemment, son conseil communal et a même été relayée auprès du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. De quoi est-il question ? D’un prix PS qui récompense, dans chacune des six écoles communales de l’entité, un élève qui s’est distingué, au cours de l’année scolaire écoulée, par ses valeurs d’entraide, de solidarité et de respect.
Une finalité louable en soi, mais y a-t-il propagande politique ou non ? La question est posée, mais mon propos sera ailleurs : on a pu lire, dans la foulée de cette affaire, au sein des médias et des réseaux sociaux, la nécessité de faire appel à la « commission article 42 ».
Qu’est-ce donc que cette commission « article 42 » ?
C’est le décret du 26 avril 2007 modifiant la loi du 29 mai 1959 et certaines dispositions de la législation de l’enseignement dont, notamment, son article 1er qui crée la Commission article 42.
La loi du 29 mai 1959 (dite loi du Pacte scolaire et pour rappel, à l’époque, l’enseignement n’est pas communautarisé), dans un chapitre intitulé « De l’interdiction de pratiques déloyales », traite de la problématique de ces pratiques dans les écoles.
Ainsi peut-on lire à l’article 41 de cette même Loi : « Toute activité et propagande politique ainsi que toute activité commerciale sont interdites dans les établissements d’enseignement organisés par les personnes publiques et dans les établissements d’enseignement libre subventionnés.. Toute pratique déloyale est de même interdite dans la concurrence entre ces établissements. La propagande en faveur d’un enseignement doit rester objective et exempte de toute attaque contre un autre enseignement ».
En ce qui concerne le premier volet – la propagande politique– , on signalera que les différents statuts des personnels de l’enseignement reprennent, à leur compte et à destination de ceux-ci, cette interdiction d’activité et de propagande politique. Ainsi, par exemple, dans le décret du 6 juin 1994 portant statut du personnel de l’enseignement communal en son article 9 peut-on lire que les membres du personnel ne « peuvent exposer les élèves ou étudiants à des actes de propagande politique, religieuse ou commerciale » ; ou encore dans celui en vigueur dans l’enseignement libre (décret du 1er février 1993), à l’article 16, peut-on remarquer que « Les membres du personnel ne peuvent utiliser les élèves à des fins de propagande politique ou commerciale ». Interdiction qu’on retrouvera par ailleurs dans les règlements de travail également. La responsabilité de cette propagande illicite repose donc, ici, sur les seules épaules des membres du personnel. Or, il semble bien que, dans un cas comme celui des écoles communales de Huy (mais nous avons eu à en connaître d’autres similaires), l’initiative vienne de l’autorité communale.
En fait, c’est une commission ad hoc ( dite article 42) qui reçoit pour mission « d’examiner les infractions aux dispositions de l’article 41 et de proposer les mesures ou sanctions à prendre ».
Cette commission constituée de « magistrats en fonction, émérites ou honoraires » n’a dans les faits jamais été constituée, apparemment parce que les différents ministres de l’Éducation n’ont pas exécuté les dispositions de la loi et de l’arrêté royal du 14 septembre1987.
Marie Arena, ministre à l’époque en Fédération Wallonie-Bruxelles, interpellée au Parlement en février 2005 quant à savoir pourquoi cette commission n’a jamais été créée, déclarait : « Avec les éléments dont je dispose, je pense pouvoir dire que c’est parce qu’aucune situation justifiant la mise en place de cette commission ne s’est présentée, autrement dit parce qu’aucune infraction grave et qui n’ait pu être résolue à l’amiable n’a été constatée. Faut-il, aujourd’hui, activer cette commission ? Je voudrais, tout d’abord, faire remarquer qu’en matière de publicité, il ne s’agit pas de conflits entre pouvoirs organisateurs, écoles ou réseaux, mais d’infractions à la loi. C’est différent ».
L’interpellation ci-dessus était relative à une circulaire de cette dernière, un an plus tôt, et qui tentait de remettre les choses au point .
Cette circulaire soulignait « qu’elle fait confiance au discernement des enseignants quant aux limites à ne pas franchir. » Elle visait par-là surtout les pratiques commerciales.
Le seul discernement des enseignants, entre-temps, a semblé insuffisant, d’où l’idée d’un décret à ce propos, « modifiant la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement ».
Qu’en est-il de ce décret ?
Celui-ci se donne pour objectif de permettre « de clarifier enfin la situation et de répondre aux diverses sollicitations – directes ou indirectes- dont font de plus en plus l’objet les établissements scolaires, les enseignants et les élèves », ces derniers se voyant « en effet proposer, sous le couvert d’initiatives à caractère pédagogique ou éducatif des intrusions commerciales ou publicitaires à caractère lucratif. Il en résulte un flou dommageable qui amène le Gouvernement à cadrer ces différentes situations ».
En fait, ce décret crée, auprès de la Direction Générale de l’enseignement obligatoire, une Commission chargée de connaître toutes les demandes relatives aux infractions édictées à l’article 41. Celle-ci « dispose d’un pouvoir d’enquête », et « rend des avis au Gouvernement qui statue ».
Cette commission est constituée de représentants des services du Gouvernement (2), des organes de représentation et de coordination des P.O (5), des Services généraux de l’Inspection (3), des organisations syndicales de l’enseignement (6, dont j’étais) et des associations de parents (1 pour chaque organisation reconnue).
Cette commission peut être saisie suite à une requête d’un chef d’établissement de la CFWB ou d’un P.O du libre après en avoir débattu en Conseil de participation, d’une association de parents, d’une organisation syndicale, du Ministre de l’enseignement obligatoire, des Services du gouvernement, des organes de représentation et de coordination des P.O. Mais elle peut aussi se saisir d’initiative de faits qui apparaissent comme en contradiction avec les dispositions de l’article 41 de ladite loi. Ses avis sont rendus dans le mois qui suit la clôture de l’instruction.
Avant de rendre son avis, la Commission, via son président, aura invité le P.O, si cela n’a pas été fait, à « débattre de la requête auprès du Conseil de Participation » et à soumettre ensuite à la Commission le résultat de ses débats. A défaut d’un tel débat dans un délai d’un mois, la Commission traite la requête.
Le Gouvernement « statue ». En cas de non-respect des décisions rendues, un P.O peut se voir sanctionné au niveau des frais de fonctionnement. En fait, le P.O a 30 jours pour faire la preuve qu’il a pris les dispositions nécessaires à l’application des décisions lui communiquées par le Gouvernement. A défaut, il perd pour une durée indéterminée le bénéfice de 5% des subventions qu’il ne retrouvera dans leur intégralité qu’une fois la preuve apportée qu’il s’est conformé à l’injonction du Gouvernement.
L’avant-projet de décret avait été négocié avec les partenaires sociaux en novembre 2006. J’en étais.
Cet avant-projet donnait à la Commission pouvoir de décider, ce que le Conseil d’Etat a mis à mal dans son avis rappelant que le décret « ne peut attribuer un pouvoir de décision individuelle à une autorité administrative qui n’est pas politiquement responsable » . Le texte fut donc modifié en conséquence. Le même Conseil d’Etat estimait que la « sanction peut s’avérer disproportionnée au regard de la gravité de l’infraction commise en la matière » et qu’il « conviendrait de prévoir un régime des sanctions plus proportionné ». Le législateur n’a pas suivi cet avis.
Chaque année, la Commission remet un rapport de ses activités auprès du Parlement. Pour ce que j’ai eu à en connaître (j’y siégeais toujours en 2016), le plus souvent, les sanctions se sont limitées à un rappel à la loi.
En conclusion à la présente carte blanche, je citerai les propos mêmes de la Ministre Marie Arena dans la circulaire évoquée ci-dessus : « Ne nous voilons pas la face : la publicité fait partie de l’environnement quotidien des enfants comme des adultes. Les enseignants ne sont-ils dès lors pas bien placés pour former les enfants et les adolescents à développer une attitude critique face au matraquage publicitaire ? Je le pense ».
Je le pense également. Développer un esprit critique face au matraquage publicitaire mais aussi face à la propagande politique masquée ou non véhiculée par les médias, c’est assurément l’une de leurs missions. Et ce qui s’est sans doute passé à Huy est-il là pour nous inviter à la vigilance. Vigilance d’autant plus d’actualité que, comme c’est le cas chaque année, certains établissements scolaires n’hésitent pas à afficher, à des fins de propagande, leur taux de réussite au CEB et autres évaluations externes, ce qui est illégal.
Ce qui n’enlève rien aux prérogatives de la « Commission article 42 » qui a au moins le mérite d’aussi concerner les pouvoirs organisateurs, de les placer face à leurs responsabilités en matière de pratique commerciale, de propagande politique et de concurrence dans les établissements qu’ils organisent.
Bernard De Commer, ancien permanent syndical et ancien membre de la « Commission article 42 »
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Pratiques commerciales, de propagande politique ou de concurrence déloyale dans les écoles : une commission chargée de les examiner »
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