Carte blanche
Pourquoi les CDI ne solutionneront pas la pénurie d’enseignants (carte blanche)
Une carte blanche de Bernard DE COMMER, instituteur retraité et ancien permanent syndical.
Le 19 juillet 2024, Moustique écrit que « la fin des nominations est une très mauvaise chose, juge la CGSP. Le syndicat socialiste ne comprend pas comment un CDI pourrait stabiliser un enseignant ou aider à l’embauche de jeunes profs. La CSC n’y croit pas non plus. Au micro de la RTBF, elle déplore “ce coup de poignard dans le statut” et rappelle que celui-ci, “qu’on le veuille ou non, est une protection pour les enseignants ».
Effectivement, les statuts sont une véritable protection pour les enseignants.
Mon propos se limitera au statut du personnel de l’enseignement libre subventionné, que je connais mieux pour avoir été instituteur durant plus de 30 ans dans ce réseau, puis permanant syndical pour le SEL dans ce même réseau, une dizaine d’années, et pour avoir publié un Courrier hebdomadaire pour le CRISP à ce sujet.
Une très longue gestation
Rappelons, tout d’abord, que la Loi du 29 mai 1959, prévoyait pour le personnel de l’enseignement libre subventionné un « statut de stabilité d’emploi et un statut de régime disciplinaire applicables au personnel de l’enseignement libre subventionné ». Ce statut, soulignais-je dans le document, était souhaité par les organisations syndicales mais également par l’enseignement catholique parce que, selon lui, à défaut d’un statut comparable et aussi avantageux que celui de l’Enseignement de l’Etat, il s’estimait exposé, en cette période d’expansion de la fréquentation scolaire de l’enseignement secondaire, à une pénurie de personnel.
Sous-entendu, donc, les futurs enseignants risquent d’opter plutôt pour le réseau de l’Etat, la protection y étant plus sûre en matière d’engagement notamment (priorités). Etonnamment (ou pas), à ma connaissance, aujourd’hui, le SeGEC et les autres fédérations d’employeurs de l’enseignement se taisent dans toutes les langues au niveau du statut.
Mais le SeGEC, par la plume de Etienne MICHEL, déclare entre autres, pour lutter contre la pénurie, être pour « un nouveau contrat social : garantir un contrat à durée déterminée (CDD) d’un an en début de carrière et réexaminer le régime des congés applicables par ailleurs en préservant les prérogatives des PO en tant qu’employeurs. »
Personne n’imagine que l’engagement en CDI puisse solutionner la pénurie dans l’enseignement
Combattre la pénurie de personnel
Une pénurie de personnel. Tiens ! Tiens ! Le statut apparaissait en 1959, aux yeux, du SNEC (Secrétariat national de l’Enseignement catholique, devenu le SeGEC) comme un outil pour combattre la pénurie. Et, joignant le geste à la parole, dès 1963, il va s’atteler à créer un statut interne. Mais ce statut, en son article, 41§2 stipule que « les situations personnelles ou matrimoniales incompatibles avec la morale chrétienne ou violant gravement les lois de l’Eglise catholique mettent fin de plein droit, sans préavis et sans indemnité à tout engagement ».
On l’aura compris, cet article s’en prend, et de manière évidente, à la protection de la vie privée. Si les syndicats chrétiens (devenus CSC-Enseignement) sont favorables à l’élaboration d’un statut légal, c’est l’APPEL (Association professionnelle du personnel de l’enseignement libre), dans un premier temps, puis, surtout, le SEL (SETCa -Enseignement libre) qui vont faire du respect de la vie privée leur cheval de bataille. Divers projets de loi (puis de décret avec la Communautarisation de l’enseignement ) vont être établis, dès 1976, mais qui laissent APPEL et SEL, surtout, insatisfaits.
Finalement, un douzième projet de décret, en 1991, rencontre l’approbation des uns et des autres, notamment en remplaçant la notion de situation d’incompatibilité par celle d’occupation incompatible. Un accord historique. LE SOIR, par exemple, déclare que « c’est surtout l’accord du SNEC et du SETCa-Enseignement libre qui donne à penser que le feuilleton en est à ses derniers épisodes ».
Et le 1er février 1993 le gouvernement de la Communauté française acte le décret voté le 26 janvier 1993 portant statut des membres du personnel subsidiés de l’enseignement libre subventionné ».
Le métier d’enseignant ne se limite pas à la seule transmission de savoirs mais aussi de valeurs.
Le statut, une véritable protection pour les enseignants
Point n’est besoin de faire un dessin : ce statut (et celui de l’officiel subventionné qui vint peu après) constituent bien, au vu de la longueur des négociations et des difficultés y liées , une réelle protection pour les enseignants. Notamment, au niveau du respect de leur vie privée, mais aussi contre le clientélisme et les abus de pouvoir de certains employeurs.
L’émission QR débat de la RTBF (11/09/2024) a abordé l’enseignement et, notamment, la problématique de la fin des nominations. Personne n’imagine, un instant, pas même la Ministre de l’enseignement obligatoire, Valérie GLATIGNY, présente à ce débat, que l’engagement en CDI puisse solutionner la pénurie dans l’enseignement. Juste, peut-être, régler l’un ou l’autre cas particulier . Il y a mieux, il y a plus à faire, et la Ministre de reprendre un certain nombre de pistes dont j’ai déjà pu parler par ailleurs.
Face à cette volonté d’engagement par CDI, on peut se demander si ce n’est pas tant l’enseignement seul qui est visé sous cape, mais toute la fonction publique à privatiser autant que faire se peut. Et même si, dans un premier temps, seuls les nouveaux profs seraient concernés, sans doute les autres ne perdent-ils rien pour attendre.
Ceci étant, le métier d’enseignant n’est pas tout à fait un métier comme les autres. Il ne se limite pas à la seule transmission de savoirs mais aussi de valeurs. Ce n’est pas pour rien que les négociations et projets de statut dans le libre ont mis autant d’années à aboutir. Pas pour rien, non plus, que les réseaux d’enseignement définissent leur projet.
Ainsi, l’Enseignement catholique avec Mission de l’école chrétienne (version 2021), où l’on peut lire ceci : « Comment réconcilier espace public et convictions personnelles? L’enseignement catholique entend répondre à ces questions en rappelant son projet: être au service du jeune dont il espère faire une personne de conviction, qui prend sa place dans la société d’aujourd’hui. Et cette mission, il la remplit en faisant résonner la parole de Dieu et en gardant vivante la mémoire de son histoire. C’est de tout cela qu’il est question dans « Mission de l’école chrétienne »
L’enseignement officiel subventionné n’est pas en reste, non plus, puisqu’on y lit ( version 2021) : « L’enseignement officiel subventionné entend défendre, dans le respect et la tolérance, un enseignement ouvert à tous, ouvert à toutes les conceptions philosophiques, idéologiques, entend défendre un enseignement luttant contre toutes approches dogmatiques allant à l’encontre de nos valeurs démocratiques et humanistes. Notre enseignement est un enseignement proche du citoyen, centré sur le développement, l’épanouissement, l’émancipation, l’autonomie de l’enfant. »
Seul un statut est à même de garantir la pérennité de tels objectifs.
Nous serons attentifs, en tout cas, à lecture et à l’analyse des chiffres de pénurie tels qu’ils seront publiés dans les années à venir.
Et puis, après tout, pourquoi pas un retour aux grèves de 90 et 96 qui n’avaient pas pour objectif le statut, mais qui ont donné aux syndicats de l’enseignement du poids pour les négociations à venir jusqu’à nos jours?
Allo, les organisations syndicales ?
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