Carte blanche
Plan Good Move à Bruxelles: « Quand l’homme frappe du poing sur la table, la femme s’incline »
Dans le plan Good Move, Bianca Debaets (CD&V), Ans Persoons (Vooruit) et Adelheid Byttebier (Groen) estiment que la loi de celui qui crie le plus fort a encore frappé, au détriment des intérêts féminins. Les élues appellent à intégrer une approche genrée dans ce dossier.
Depuis plusieurs semaines, les plans de circulation GoodMove suscitent des remous en région bruxelloise. L’objectif de ces plans est d’offrir plus d’air dans de nombreux quartiers et d’accorder plus d’espace à d’autres modes de transport que la voiture. A partir des années 1950, celle-ci s’était vue offrir un monopole sans cesse croissant sur la voie publique. Aujourd’hui, la réalité des usagers de la route s’avère très différente : la moitié des Bruxellois ne possède pas de véhicule.
Des études montrent que ce sont les femmes qui se déplacent le plus souvent autrement qu’en voiture, via les transports en commun, à pied ou à vélo. De plus, elles représentent 86% de l’imposant groupe de parents isolés bruxellois qui, en général, doivent se débrouiller avec un seul salaire et qui se déplacent plus souvent que les hommes pour faire les courses ou emmener les enfants. Quant à eux, les hommes constituent toujours le plus grand groupe de conducteurs automobiles.
Ces dernières années, les décideurs politiques utilisent de plus en plus le test d’impact au niveau du genre et des plans d’action sont élaborés pour promouvoir la sécurité des femmes de diverses manières. Il y a un consensus sur le fait que l’espace public reste dominé par l’homme. Il est conçu par et pour les hommes. Les femmes apparaissent davantage comme des ‘invitées’ sur leur terrain. De ce fait, elles se sentent nettement moins en sécurité.
Des grands boulevards où l’on passe incognito, où circule un trafic à grande vitesse et où peu de piétons déambulent constituent des endroits propices pour des approches ou comportements déplacés envers les femmes. En outre, celles-ci se sentent également moins en sécurité dans la circulation, surtout lorsqu’elles accompagnent leurs enfants. Trop de conducteurs roulent encore dans Bruxelles comme si les piétons et les cyclistes n’existaient pas et ils se comportent parfois de façon très agressive, surtout lorsqu’on leur adresse un reproche par rapport à leur conduite dangereuse.
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La loi de celui qui crie le plus fort ne doit pas l’emporter
Les différents plans d’action déployés pour mieux assurer la sécurité des femmes visent notamment à répondre à ces questions, parfois avec une référence explicite à Good Move. Des plans qui ont été élaborés en concertation avec de nombreuses associations de terrain. Les plans ont pour objectif de parvenir à un environnement plus sain, plus fluide et plus sûr, où il y a plus d’espace pour se rencontrer. Beaucoup de gens attendaient avec impatience les effets de Good Move.
Cela jusqu’au dernier mois de septembre à Cureghem. Là-bas, un groupe d’hommes – et de jeunes qui ont suivi le mouvement – a décidé d’enlever les déviations pour le trafic et de saboter la signalisation, avec comme conséquence la chute d’un cycliste qui s’est blessé et la protection policière qui a dû être assurée pendant plusieurs jours pour une échevine.
Quelques élus ont ainsi vu leur chance et ils ont sauté sur l’occasion pour se rallier à la cause de ces messieurs
Ces messieurs voulaient marquer leur opposition aux changements qui modifiaient leurs itinéraires habituels et ils estimaient que cela restreignait leur liberté. Et ils tenaient à le faire savoir avec force. Quelques élus ont ainsi vu leur chance et ils ont sauté sur l’occasion pour se rallier à la cause de ces messieurs. Ils se sont ainsi présenté au conseil communal en tapant bruyamment du poing sur la table. Et par un coup de baguette magique, tout le plan fut mis au tapis. La loi de celui qui crie le plus fort l’a emporté sur une approche raisonnable.
Au niveau de la Ville de Bruxelles, le climat durant le conseil communal s’est totalement assombri quand un groupe d’opposants similaires – masculins en immense majorité – s’est manifesté à deux reprises à l’occasion d’interpellations citoyennes.
A Schaerbeek, c’est un groupe encore plus important de personnes qui s’est réuni et, là également, les hommes étaient en immense majorité. Ils sont venus pour la plupart d’autres communes pour exprimer leur indignation face à des changements intervenus dans des quartiers où ils n’habitent pas. Soutenus par des élus communaux – qui ont vu leur chance – des panneaux et des poteaux ont été détruits, une excavatrice a été incendiée et les services d’urgence ont été criblés de pierres et d’objets divers. Le comble, c’est que le mouvement anti-Good Move cite justement les obstacles aux services d’urgence comme l’un des arguments contre le plan…
Accordons aux femmes plus d’importance pour les aménagements de l’espace public
Bien sûr, la vérité impose de dire que tout n’est pas noir ou blanc : les femmes emmènent aussi leurs enfants à l’école en voiture et on retrouve aussi beaucoup d’hommes qui pratiquent du vélo et qui luttent pour plus de sécurité routière. Et, bien sûr, les opposants ont aussi vu dans ce plan la goutte de trop qui venait s’ajouter à toutes les difficultés déjà rencontrées ces dernières années : la crise sanitaire, la folle montée des prix de l’énergie et une peur généralisée du déclin socio-économique.
Les événements récents nous incitent à penser qu’on retombe dans le travers où c’est un petit groupe d’hommes qui détermine ce qu’est la norme
Il n’empêche, les événements récents nous incitent à penser qu’on retombe dans le travers où c’est un petit groupe d’hommes qui détermine ce qu’est la norme, et où c’est un vieux principe qui semble à nouveau triompher : quand l’homme frappe du poing sur la table, la femme s’incline.
Si nous voulons une solution adaptée à chacune et chacun, le dialogue apparaît fondamental. Alors que les cris, eux, tuent toute possibilité de débat. C’est donc très déplorable de constater ici que les cris et la violence ont été récompensés.
Plusieurs communes font à présent marche arrière en ayant pris conscience du fait que tout le monde ne se sent pas entendu. Mais que les décideurs politiques, dans ces communes, aient bien à l’esprit que ce ne sont pas uniquement ceux qui crient le plus fort qui doivent être entendus.
Dans ce processus, donnons aux femmes un espace sûr où elles peuvent formuler sereinement leurs véritables préoccupations durant cette phase transitoire, et où elles peuvent aussi se soutenir mutuellement. Un espace où les cris et les poings sur la table n’ont pas leur place.
En résumé, donnons aux femmes l’occasion de participer pleinement aux aménagements de l’espace public, mieux adaptés à leur condition. Elles y ont droit et en fin de compte ce sera aussi profitable à toutes et tous.
Bianca Debaets, députée bruxelloise et conseillère communale à la Ville de Bruxelles (CD&V)
Ans Persoons, échevine à la Ville de Bruxelles (Vooruit)
Adelheid Byttebier, échevine à la commune de Schaerbeek (Groen)
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Good Move cherche femme »
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