Carte blanche
« Non, le débat en cours sur le décret Paysage ne risque pas de nivellement par le bas »
La révision de la réforme du Décret paysage ne modifie pas les conditions de réussite, rappelle Calogero Conti, ancien recteur de l’UMons.
Dans la (mini) tornade en cours, amplifiée par le fait que nous soyons en campagne électorale, le discours politique est ainsi fait que pour convaincre, chacune des parties accentue les risques de la thèse qui lui est opposée. Mais il ne faudrait pas, de ce fait, et quel que soit le regard que chacun porte sur ce débat, discréditer la valeur des diplômes de notre enseignement supérieur. En effet, nous discutons ici de la «finançabilité» des étudiants en difficulté dans leur parcours, c’est-à-dire des critères qui conduisent à leur «expulsion» du système, avec impossibilité d’y re-rentrer pendant 5 ans. Il n’est nulle part question de modifier ni les conditions de réussite, ni le pouvoir des professeurs et des jury de proclamer les diplômés en fonction de leurs résultats aux examens. La valeur et la qualité des diplômes ne sont pas en compte.
Même la mesure la plus discutée, celle du retour à une limite de 45 crédits en deux années pour garder le statut de finançabilité pour l’étudiant concerné, ne modifie pas les conditions de réussite puisque l’autorisation porte sur sa réinscription une dernière fois dans son année, et non, comme par le passé, de passer dans l’année supérieure en «traînant les casseroles», pratique tant critiquée dans l’ancien décret et sur laquelle il ne peut être question de revenir.
Dans ce bras de fer, il est évident que des paramètres périphériques au problème de fond sont de nature à crisper les débats : la non fidélité aux accords passés par les uns, la non réponse aux demandes répétées des effets de la réforme par les autres, le refus de prendre en compte les inquiétudes unanimes des partis de la FWB, des étudiants et des recteurs devant l’incertitude sur le nombre d’étudiants éventuellement exclus (quasi définitivement) de l’enseignement supérieur, l’égo qui peut caractériser certains de nos politiciens, le précédent d’une majorité alternative, la proximité des élections et les visées électoralistes tant des uns que des autres car bien malin qui peut dire à qui profitera cette crise.
Dans ce contexte, ne serait-il pas important de s’en tenir aux faits et aux risques des choix actuellement en jeu ?
Ce dont il est question, c’est un assouplissement limité des règles de finançabilité pour tenir compte de deux éléments objectifs : la situation transitoire de certains étudiants rattrapés par le Décret Glatigny et des possibles effets de la pandémie COVID sur leur parcours. Concrètement, il peut permettre à un certain nombre d’étudiants en difficulté de garder leur statut de finançabilité et d’encore tenter leur chance l’année prochaine, pour autant qu’ils le souhaitent.
Personne ne peut nier que l’on soit pour le moins mal à l’aise de ne pas savoir combien d’étudiants (et suite à quel parcours) supplémentaires vont pour la première fois être rendus non finançables par rapport aux années passées où de l’ordre de 6000 étudiants étaient concernés annuellement par la «non-finançabilité». Analyser cette réalité avec des chiffres objectifs de la cohorte actuelle (que la Ministre reconnait ne pas pouvoir fournir) ne semble pas déraisonnable.
C’est précisément la position exprimée par le CReF dans ces deux communiqués de presse ces 9 et 18 avril.
Decret paysage: une année transitoire
Il importe donc de bien faire comprendre que le souhait est une transition d’un an visant à soutenir certains cohortes d’étudiants en difficultés (post-covid et issu de la transition « Marcourt-Glatigny »,
càd inscrits avant 2022) et à vérifier le caractère raisonnable des nouveaux critères d’exclusion du système.
La réaction de certains membres du corps académique appelle deux remarques.
Dans le contexte du sous-financement chronique de notre enseignement supérieur, personne n’aime avoir des cohortes très nombreuses d’étudiants, à fortiori plus faibles, mais la tentation de faire porter sur ceux-ci, justement parce qu’ils sont les plus faibles, la responsabilité d’un «refinancement à l’envers» ne serait-il pas profondément injuste ?
On peut comprendre ceux qui doutent de l’intérêt pour l’étudiant lui-même, de continuer dans une voie dans laquelle il est loin de s’être adapté. Cette chance supplémentaire qui lui est octroyée n’est elle pas une arme à double tranchant qui pourrait se retourner contre lui à terme ?
Mais si l’étudiant persiste quand même, ce sera à ses risques et périls car le mode d’évaluation du corps académique n’aura pas changé et il devra de toute façon faire ses preuves. Tout ce qu’on aura fait, c’est lui donner le choix d’encore tenter sa chance dans une situation jugée exceptionnelle par certains.
On ne peut dès lors pas comprendre l’argumentation alarmiste criant au risque de dévalorisation de nos diplômes. Ce serait faire injure au corps académique de considérer qu’à force de voir l’étudiant présenter un examen, il baisserait la garde au point d’accepter le risque de conduire à un diplôme de moindre valeur.
Pas la porte ouverte au laxisme
Nous avons tous connu des diplômés qui ont connu quelques accrocs dans leurs études et qui ont fait des carrières professionnelles parfois remarquables. Il n’est pas inutile de rappeler combien ce diplôme de l’enseignement supérieur est un garant exceptionnel d’un emploi et d’un emploi de qualité.
On peut parfois tirer beaucoup d’enseignement de ses échecs : on le répète souvent pour les entrepreneurs, le monde de l’éducation n’y fait pas exception
Ne peut-on pas considérer aujourd’hui, que les mesures transitoires qui viennent d’être adoptées peuvent se comprendre pour tenir compte d’une situation exceptionnelle et en attente dès l’année prochaine, de statistiques fiables. Il faut dès lors raison garder : il ne s’agit nullement d’un choix de société où le laxisme deviendrait la règle. Les risques du débat actuel sont objectivement limités et reviennent à donner une chance supplémentaire, pour cette année seulement, à un certain nombre d’étudiants en difficulté. Certes, cette chance supplémentaire pourrait se retourner contre eux mais ils en auront pris le risque librement et en connaissance de cause.
Ce qui est dommage au final, c’est que cela doive se faire dans un climat aussi passionné et délétère!
Calogero Conti est l’ancien recteur de l’UMons.
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