Carte blanche

« L’UCLouvain et les autorités communales répondent-elles vraiment aux urgences climatique et sociale ? »

Le collectif MobZ appelle à repenser le projet résidentiel « Athéna-Lauzelle », qui doit être prochainement érigé à Louvain-la-Neuve. « L’objectif de rendement financier ne devrait pas prendre l’ascendant sur les enjeux environnementaux et sociaux », plaide le collectif. 

Prenez le plus gros propriétaire foncier privé du Brabant wallon, ajoutez un collège communal verdoyant et plusieurs collectifs citoyens. Vous avez là les acteurs d’une pièce qui se joue en ce moment à Louvain-la-Neuve et qui a pour thème l’immense projet résidentiel qui doit être érigé sur 33 hectares situés en bordure du bois de Lauzelle, un site classé en zone Natura 2000. La perspective annoncée : 1.250 logements minimum et 3.500 nouveaux habitants, soit une hausse d’un tiers de la population actuelle[1].

Le projet Athéna-Lauzelle avait été présenté il y a quelques années comme un nouvel « écoquartier » devant finaliser l’urbanisation de la cité néo-louvaniste. Seulement, avec le temps, une nouvelle et incontournable actrice vient s’imposer dans cette pièce : l’urgence climatique. Celle-ci exige aujourd’hui une adaptation radicale de nos modes de vie, de déplacement et d’habitat, dont l’outil premier de planification est l’aménagement des territoires. Si ce projet reste louable à plus d’un titre, il ne peut être entrepris sans un questionnement profond sur l’opportunité du lieu, sur le public bénéficiaire, sur son ampleur, sur son impact environnemental et sur ses implications de mobilité. A l’heure actuelle, une partie de la population est interpellée par le peu de suites données aux promesses de « co-construction » du projet ou reste perplexe devant l’information qu’elle reçoit, partiale et étroitement contrôlée par le promoteur, l’Inesu SA, le bras immobilier de l’UCLouvain.

L’ancien garde forestier du site, Jean-Claude Mangeot, en poste pendant 40 ans, avertit lui aussi : « Ce projet va être véritablement impactant (…) tout le monde sait qu’il y aura une pression exercée sur le bois voisin et on le fait quand même ! ». L’interdiction européenne de porter significativement atteinte au réseau Natura 2000 et la politique du « Stop Béton » qui vise à freiner l’étalement urbain à partir de 2025 et d’y mettre fin en 2050 nous semblent bien peu considérées. Qu’en est-il de la biodiversité ? Qu’en est-il des risques de ruissellement vers le bois, et plus en aval vers les zones habitées ? Qu’en est-il de la réduction effective des émissions de gaz à effet de serre ? Et qu’en est-il du besoin, aussi essentiel que l’habitat, de conserver des terres agricoles productives ? 

Ce projet est qualifié à cor et à cri d’« exemplaire », de « durable » et de « visionnaire » par le promoteur. Certes on aurait pu le concevoir moins bien que cela. Mais, quel objectif le justifie-t-il ? Celui du rendement financier ne devrait pas prendre l’ascendant sur les enjeux environnementaux et sociaux. Plus aujourd’hui !  S’il est vrai qu’il existe une demande de logement à satisfaire, ce projet constitue-t-il vraiment la meilleure option pour y répondre au moindre impact environnemental ? Avec l’impératif de transition dans un monde fini, l’équité doit primer sur la perpétuation de la croissance. Et si la croissance se poursuit néanmoins, il ne suffit pas de la verdir, il faut aussi l’orienter résolument vers les besoins prioritaires. A l’heure des dérèglements climatiques et de l’envol du coût social du carbone[2], l’impérative réduction des émissions devrait ainsi être consentie en priorité au bénéfice des personnes les plus vulnérables. Avec ce projet Athéna, si l’on en vient malgré tout à sacrifier la préservation de nos territoires, un tel quartier ne devrait-il donc pas aller d’abord à ceux-là de nos concitoyens qui ne disposent pas de logement ?

« Acquérir un logement dans le quartier Athéna restera réservé à une population aux revenus élevés. Derrière les effets d’annonce séduisants, c’est bien cette réalité irréductible du marché qui se cache »

L’intention de l’université de satisfaire d’abord une liste d’attente privée (plus de 900 personnes) augure d’un tout autre dessein et les annonces qui sont faites d’offrir des logements « à prix doux »[3] sont loin de garantir que ce projet sera à la mesure des enjeux sociaux véritables. « 40% des logements seront proposés à un prix en-dessous du prix du marché » nous dit-on du côté du promoteur. Rappelons que le prix médian d’une habitation dans la commune s’élève à 420.000 euros et que même à 10% sous le prix du marché, acquérir un logement dans le quartier Athéna restera réservé à une population aux revenus élevés. Derrière les effets d’annonce séduisants, c’est bien cette réalité irréductible du marché qui se cache. Une récente analyse des jeunes du mouvement ouvrier chrétien le confirme sans détour :  » Le problème (…) est moins la présence de logements disponibles que l’inaccessibilité grandissante pour une partie de plus en plus importante de la population. À ce jour, de nombreuses associations actives dans le droit au logement préfèrent parler de « crise de l’accès au logement » plutôt que de « crise du logement »[4].

Nous sommes conscients qu’il faut du courage politique pour initier et porter, en partenariat avec les populations, des projets d’aménagement urbain et territorial à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux. Cela demande encore de bousculer l’ordre établi et les réflexes hérités du XXe siècle. De vraies alternatives sont possibles, et l’université dispose ici d’une opportunité unique de se positionner (réellement) à la pointe des transitions écologique et sociale[5]. C’est bien sur ce terrain-là que nous l’attendons.

L’enquête publique se clôturera le 19 avril. Nous plaidons ici pour que ce projet soit revu pour infléchir l’impact écologique considérable qu’il aura sur le bois et pour que les logements proposés soient réellement accessibles à ceux qui ne peuvent actuellement pas accéder à la propriété. Un projet d’une telle ampleur et d’un tel impact ne mériterait-il d’ailleurs pas une large consultation populaire ?

Par Raphaële Buxant, Thomas Durant, Yves Hallet, Jean-Paul Ledant, Guillaume Léonard, Pascal Warnier – Pour le collectif MobZ

MobZ milite pour le droit au logement et la préservation de la nature et de ses ressources sur le territoire d’Ottignies-LLN. Il est membre d’Occupons le Terrain (OLT).


[1]10 434 habitants, chiffres décembre 2020 (https://www.olln.be/fr/actualites/31-133-habitants-dans-notre-ville).

[2] https://www.rtbf.be/article/le-cout-social-du-co2-bien-plus-eleve-questime-selon-une-etude-11058594

[3] Alexia Autenne, administratrice générale de l’UClouvain, Séance d’information au public, 21 février 2024

[4] https://joc.be/crise-du-logement-ou-crise-de-lacces-au-logement/

[5] https://uclouvain.be/fr/decouvrir/universite-transition

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire