Carte blanche

L’obligation scolaire à 3 ans est-elle vraiment profitable aux enfants issus de milieux défavorisés?

Le 27 janvier 2023, le MR déposait une proposition de résolution au Sénat visant à imposer l’obligation scolaire à 3 ans. Avec pour principal objectif de lutter contre les inégalités scolaires.

Aujourd’hui, cela fait partie de l’accord politique du gouvernement De Wever. L’obligation scolaire est en effet une compétence fédérale. Le principe est intéressant et défendable, mais  sa mise en pratique est-elle raisonnablement possible?

Voyons cela.

«Selon la Ligue des familles, le taux de scolarisation en Fédération Wallonie-Bruxelles est déjà de 92,5% à 3 ans. Légiférer en la matière pourrait ainsi avoir un impact somme toute limité mais réel. L’ASBL estime que ce pourcentage pourrait bondir au maximum de 3,5% en avançant l’âge de l’obligation scolaire à 3 ans. Ceux qui pourraient en bénéficier pourraient notamment être les enfants de milieux défavorisés, ce qui n’est pas rien lorsque l’on sait que la Belgique dispose d’un des systèmes scolaires les plus inégalitaires de l’OCDE.» peut-on lire dans la magazine Moustique du 28 février 2024.

Rappelons, au passage, que toutes les enquêtes internationales pour la Belgique et la Fédération Wallonie- Bruxelles vont dans le même sens: un système scolaire très inégalitaire. Ces chiffres sont sensiblement les mêmes que ceux que l’on pouvait trouver en 2000 lorsque Jean-Marc Nollet souhaitait porter l’obligation scolaire à 5 ans alors qu’elle était à 6 ans. L’idée finalement, une vingtaine d’années plus tard, a fini par aboutir:  le Parlement de la FWB votait à l’unanimité l’obligation scolaire dès l’âge de 5 ans par décret du 9 juillet 2020. Et pour ce faire, il a fallu attendre que la loi fédérale ait été modifiée le 23 mars 2019, les Flamands étant aussi demandeurs.

Mais revenons aux chiffres de 2000.

Il apparaissait alors que 93 % des enfants de 3 ans et 97% des enfants de 5 ans fréquentaient l’école maternelle plus ou moins assidûment. Par ailleurs, certaines études tendaient à montrer que, plus un enfant fréquente l’école tôt, plus il a de chance de ne pas rencontrer de problèmes majeurs lors des apprentissages de base dans le premier cycle (5-8). On nous disait que ces 7 et 3% sont constitués d’enfants issus, pour la plupart, de milieux en difficultés d’insertion sociale et culturelle. On ne nous disait pas, par contre, si ces études avaient été faites à niveau socioculturel familial équivalent. 

Il semble donc en comparant ces chiffres d’il y a une vingtaine d’années à ceux d’aujourd’hui que les choses n’ont guère vraiment changé. Autrement formulé: qu’il ne suffit pas de décréter pour que, comme par enchantement, les inégalités scolaires disparaissent ou, à tout le moins, soient en nette régression.

Dans de nombreux établissements, malgré la généralisation du cycle 5-8 à l’époque, où les enfants sont sensés, dans le cadre d’une école de la réussite (décret du 14 mars 1993), progresser à leur rythme entre la 3e maternelle et la 2e primaire, on a assisté de plus en plus, sous la pression des parents, mais aussi par souci de concurrence entre réseaux et entre écoles, à des apprentissages cognitifs de plus en plus précoces. La 3e maternelle faisait alors office de classe pré-primaire. Dans certains établissements, les enfants étaient et sont toujours évalués non d’une manière formative mais normative (des cotations); parfois, ils ont des devoirs à domicile malgré l’interdiction posée par le décret du 27 mars 2001: l ’école  fait signer aux parents une déclaration selon laquelle c’est à leur demande que cette pratique a lieu.

Il ne suffit pas de décréter pour que, comme par enchantement, les inégalités scolaires disparaissent.

Peut-on espérer que dans le cadre du tronc commun en train de s’installer en Fédération Wallonie-Bruxelles l’obligation scolaire à 3 ans ne sera pas, une fois de plus, une volonté de rentabilité immédiate, rentabilité par ailleurs bien présente dans tous les domaines de la société?

Je ne peux m’empêcher d’avoir comme un doute. Entre autres quand on parle, à présent, de limiter cette obligation scolaire à temps plein à 16 ans. L’obligation à temps partiel à 16 ans  existe déjà, comme le signalait la Ministre Caroline Désir lors d’un débat à la RTBF en mai 2018. On remarquera au passage que la demande émane, ici aussi, d’un MR (Pierre-Yves Jeolet), par ailleurs ancien Ministre wallon de l’économie, même s’il a entre-temps mit en veilleuse sa position dans l’attente des résultats du tronc commun.

Donc méfiance!

Notre système scolaire était (et reste) particulièrement sélectif et, à situation de terrain inchangée, l’obligation d’enseignement dès 3 ans, à mon sens, (et je n’aborde pas la fréquentation et son contrôle) ne risque pas de changer fondamentalement grand-chose. L’école à elle seule ne peut pas tout.

Si  l’on veut réellement lutter contre les inégalités scolaires, il importe aussi de lutter, avant tout,  contre les inégalités sociales en adoptant des politiques croisées en matière de logement, de santé, d’emploi, culturelle, de la petite enfance et de la jeunesse. Je ne suis pas certain que le MR surtout et Les Engagés aient cela dans leurs ADN idéologiques. De plus,  ces politiques dépendent de pouvoirs politiques différents, ce qui ne simplifie pas les choses.

L’école apporterait alors sa pierre à l’édifice commun, comme il se doit. Avec les moyens qu’on lui attribue et qui, sans être négligeables, n’en sont pas pour autant mirobolants.  Mais c’est un autre débat dans lequel il faudra bien que nos gouvernants se positionnent. Sans quoi il n’est pas insensé d’imaginer des classes de 20 à 25 élèves dès la première maternelle, la pénurie aidant.

Mais non, mais non, mauvaise langue syndicale: les CDI vont venir à bout de cette pénurie…

Bernard De Commer, enseignant retraité et ancien délégué syndical

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