Carte blanche
Livraisons à domicile et sécurité routière : une équation impossible ?
Le nombre d’accidents impliquant des livreurs augmente, en Belgique. La faute aux villes, aux constructeurs, aux gestionnaires et aux livreurs eux-mêmes, estime Raphael Moszynski, directeur d’une entreprise active dans le secteur. Ajoutant que tous ces acteurs ont aussi un rôle à jouer pour trouver des solutions.
Depuis la crise sanitaire, le nombre des livraisons à domicile a explosé et avec lui le nombre d’accidents impliquant des livreurs. En Belgique, le nombre d’accidents impliquant des cyclomotoristes a augmenté de 11,9 % entre 2021 et 2022, de 13,7 % en Flandre et de 17,9 % à Bruxelles, d’après une étude menée par l’institut Belge VIAS.
Pour autant, la démocratisation des livraisons à domicile est-elle complètement incompatible avec la sécurité routière ?
Des accidents toujours plus nombreux
Tributaires d’un planning intenable, les livreurs prennent des libertés avec le code de la route et adoptent une conduite propice aux accidents : stationnement sauvage, excès de vitesse, sens interdit… Qui n’a jamais été témoin de ce type de comportements à risque ? Pourtant, il paraît difficile d’imaginer que les livreurs puissent prendre du plaisir à mettre en danger leur vie et celle des autres. Comment, dès lors, expliquer ces agissements ?
Les exigences d’efficacité, de rapidité et de ponctualité génèrent des situations stressantes pour le conducteur face aux contraintes de la circulation routière. Pour beaucoup, il s’agit donc de « gagner du temps » afin de respecter les délais imposés par les restaurants ou applications avec lesquels ils travaillent.
Mais les livreurs ne sont pas les seuls responsables. Propulsées par le Covid, de nouvelles applications promettent de livrer vos courses en 15 minutes à domicile. Ces plateformes se développent autour d’entrepôts de proximité où les produits sont rangés sur des étagères, comme en magasin. Si cinq minutes peuvent parfois suffire pour préparer la commande, il ne reste au livreur qu’une dizaine de minutes pour effectuer la livraison dans les temps. Pour y parvenir, il ne peut pas se permettre de rester bloqué dans un embouteillage. Il va donc parfois prendre des risques inconsidérés en doublant par la droite ou pire, en passant sur les trottoirs. Il devient dès lors non seulement dangereux pour lui, mais également pour autres.
Au-delà de la question de la conduite, de nombreux autres facteurs sont également à prendre en compte pour comprendre l’augmentation du nombre d’accidents.
- D’abord, les véhicules utilisés pour les livraisons sont parfois mal entretenus : pneus sous-gonflés, pneus lisses, défaut moteur, freins usés, véhicules vieux et abîmés.
- Les villes ont également leur part de responsabilité. Face à l’augmentation du nombre de livraisons et aux nouveaux besoins de mobilité, elles se sont retrouvées dépassées et ne sont pas parvenues tout de suite à régler le problème de la régulation des différents véhicules, notamment ceux qui permettent de circuler sans plaque, à l’image des vélos et des trottinettes électriques, qui sont par conséquent plus enclins à ne pas respecter le code de la route. Par ailleurs, les infrastructures sont parfois vieillissantes, plus du tout adaptées aux besoins actuels de mobilité. On sait par exemple que plus de 70% des accidents ont lieu au moment de l’accélération. On peut dès lors raisonnablement penser qu’il serait judicieux de privilégier les sens giratoires et autres ronds-points aux feux rouges qui impliquent nécessairement un démarrage et une accélération.
À chaque problème, sa solution
Pour parvenir à diminuer le nombre d’accidents, tous les acteurs de la livraison à domicile doivent agir de concert.
Dans un premier temps, les villes ont un rôle non négligeable à jouer dans la réglementation pour limiter les conduites à risques. Les constructeurs peuvent également proposer des solutions pour diminuer les prises de risque et répondre en toute sécurité aux exigences des centres urbains. Cela passe notamment par le développement de technologies permettant de fixer une vitesse maximale, ou de solutions permettant de récolter et analyser les données des véhicules. Ces données peuvent par la suite être transmises non seulement aux gestionnaires de flottes mais également aux villes.
Dans certains pays, les conducteurs reçoivent des primes et autres avantages en nature en fonction de leur comportement sur la route
Les gestionnaires de flottes peuvent quant à eux agir à au moins trois niveaux. Dans un premier temps, en récoltant et en analysant les données fournies par les constructeurs pour pouvoir détecter les conducteurs les plus dangereux et ainsi agir en conséquence (prévention, licenciement…). Dans un deuxième temps, en mettant en place des politiques incitatives. Dans certains pays, par exemple, les conducteurs reçoivent des primes et autres avantages en nature en fonction de leur comportement sur la route. Il ne s’agit plus de sanctionner les comportements dangereux mais de récompenser les meilleurs conducteurs afin de les encourager à garder un comportement exemplaire.
Enfin, les gestionnaires de flottes peuvent privilégier les flottes électriques, moins polluantes et nettement moins bruyantes ; mais aussi donner la priorité à une maintenance proactive des flottes afin d’accroître la sécurité des conducteurs.
Bien que le nombre d’accidents dans le cadre de livraisons augmente un peu partout en Europe, il existe des solutions, à différents niveaux, pour limiter les risques. Les villes, les constructeurs, les gestionnaires et les livreurs ont tous un rôle à jouer pour déployer des solutions adaptées aux usages. Mais au-delà de ces solutions, il est urgent de repenser notre manière de consommer pour nous, mais surtout pour mieux vivre ensemble.
Raphael Moszynski, fondateur et PDG de Blitz Motors, société spécialisée dans le marché de la livraison du dernier kilomètre.
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