Carte blanche

L’impossible réforme de l’Organisation mondiale du commerce

L’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui organise sa treizième conférence ministérielle du 26 au 29 février à Abou Dabi, connaît une crise existentielle qui remet en cause sa raison d’être.

Créée en 1995 pour organiser la négociation des règles du commerce mondial et résoudre les litiges commerciaux entre les Etats membres par le biais de son Organe de règlement des différends (ORD), elle est critiquée pour son inefficacité et paralysée par les divergences entre ses Etats membres.  

L’OMC paralysée

D’une part, l’OMC est traversée depuis sa naissance par les divergences Nord-Sud. Le Programme pour le développement adopté en 2001 à Doha était censé répondre aux critiques des pays en développement, mais le manque de volonté des pays industrialisés de respecter leurs engagements fut constaté dès 2003 à Cancun. Depuis lors, les négociations butent sur le même obstacle : alors que les pays du Sud continuent de revendiquer des règles du commerce mondial plus équitables, les pays du Nord estiment que le Programme pour le développement de Doha n’est plus d’actualité. En outre, alors que les pays du Sud veulent renforcer le traitement spécial et différencié dont ils bénéficient, les pays du Nord veulent au contraire en réduire la portée.

D’autre part, les relations conflictuelles entre la Chine et les pays occidentaux affectent l’ensemble des missions de l’OMC. Les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon critiquent en particulier la politique de subsides qui permet de réduire artificiellement le prix des biens exportés par la Chine. Pendant des années, les Etats-Unis ont adopté des mesures anti-dumping pour compenser la concurrence jugée déloyale des importations de produits chinois à bas prix, mais ces mesures ont systématiquement été condamnées par l’Organe d’appel de l’OMC. En représailles, les Etats-Unis ont mis leur veto sur le renouvellement des membres de l’Organe d’appel, jusqu’à ce que ses sept membres arrivent à la fin de leur mandat et que l’Organe d’appel soit incapable de juger les litiges commerciaux par manque de personnel.

En définitive, l’OMC n’est plus capable ni d’adopter les règles du commerce mondial, ni de juger les litiges commerciaux entre ses Etats membres. Depuis des années, la libéralisation du commerce mondial s’opère hors du cadre de l’OMC par le biais de dizaines d’accords de libre-échange bilatéraux et régionaux. Certes, les négociations continuent à l’OMC, mais sans succès. Les pays du Sud revendiquent inlassablement la « centralité du développement », tandis que les pays du Nord privilégient la libéralisation de nouveaux secteurs pour lesquels les pays du Sud ont peu d’intérêt, tels que le commerce électronique et les investissements.

Pour contourner le refus des pays du Sud, les pays du Nord souhaitent modifier le fonctionnement de l’OMC pour faciliter les accords plurilatéraux, c’est-à-dire les accords conclus entre une partie des Etats membres de l’OMC. Ils menacent d’adopter de tels accords plurilatéraux en dehors de l’OMC si les pays du Sud maintiennent leur position de refus. A contrario, les pays du Sud perçoivent ces négociations plurilatérales comme un moyen de contourner leurs réticences exprimées dans le cadre multilatéral qui nécessite l’unanimité des membres.

Les enjeux de la 13ème conférence ministérielle

Des accords plurilatéraux ont été négociés en amont de la treizième conférence ministérielle de l’OMC. D’une part, 110 Etats membres de l’OMC participent aux négociations d’un accord sur les investissements, refusé par la majorité des pays en développement depuis la création de l’OMC. D’autre part, 90 Etats membres négocient depuis des années un accord sur le commerce électronique. En octobre dernier, les Etats-Unis ont annoncé écarter les points les plus controversés de ce projet d’accord pour en favoriser la conclusion – tels que la libéralisation des flux transfrontaliers de données ou l’interdiction d’imposer le stockage des données dans des serveurs locaux. Nombre de pays en développement, à commencer par l’Inde et l’Afrique du Sud, sont toutefois opposés à la conclusion de ces deux accords plurilatéraux.

Les autres accords en négociation concernent la pêche et l’agriculture. D’une part, l’OMC cherche à éliminer les subsides à la pêche qui favorisent la surpêche, mais l’Inde et d’autres pays en développement souhaitent continuer à octroyer des subsides aux pêcheurs opérant dans leurs zones économiques exclusives. D’autre part, l’Inde demande que l’accord temporaire obtenu en 2013 pour lui permettre de constituer des stocks publics de riz devienne permanent – comme cela lui avait été concédé en 2013. La politique de stocks publics est appliquée par plusieurs pays asiatiques pour enrayer la volatilité des prix, mais les Etats-Unis et d’autres pays du Nord craignent que cela soit utilisé pour soutenir l’exportation de riz à bas prix.

Enfin, la réforme de la Cour d’appel de l’OMC est complexe. D’une part, les Etats-Unis la critiquent sans pour autant proposer une alternative claire. D’autre part, les pays en développement ne sont pas mécontents de retrouver une certaine marge d’action pour appliquer des politiques plus interventionnistes sans risquer d’être poursuivis devant une Cour d’appel désormais inopérante.

La réforme ou la mort

Incapable de fonctionner et contournée de toutes parts par les accords bilatéraux et plurilatéraux, l’OMC est condamnée à se réformer ou à mourir.

Une première réforme devrait permettre de résoudre les divergences Nord-Sud. Cela passe notamment par la garantie aux pays à faible revenu d’un traitement spécial et différencié, afin de leur octroyer davantage de marges de manœuvre en matière de politiques industrielles, de souveraineté alimentaire et d’accès aux médicaments.

Une seconde réforme devrait réviser l’accord sur les subsides industriels, en vue d’adopter un accord qui autorise les subsides visant des objectifs de développement durable, mais qui interdit ceux qui créent des distorsions de concurrence. Il est en effet devenu difficile aux Etats-Unis et à l’Union européenne de critiquer les subsides chinois alors qu’eux-mêmes les multiplient désormais pour soutenir les secteurs des technologies vertes – à travers l’Inflation Reduction Act aux Etats-Unis et la politique industrielle pour le Green Deal de l’Union européenne. Parallèlement, les mesures anti-dumping ne devraient pas être réprimées par l’OMC mais au contraire élargies à la lutte contre le dumping social et environnemental.

Enfin, la réforme de la Cour d’appel devrait avoir pour objectif de limiter le mandat administratif des fonctionnaires de l’Organe d’appel pour assurer une rotation équivalente à celle de ses membres, dans le but de réduire le pouvoir d’influence du secrétariat qui a outrepassé son rôle en interprétant les règles dans le but de réduire la marge d’action pourtant prévue pour se protéger contre le dumping.

Il y a toutefois peu de volonté politique pour mener à bien de telles réformes, tant les divergences sont importantes. La réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en novembre prochain pourrait rendre les choses encore plus compliquées. Mais la mort clinique de l’OMC n’est pas une fin en soi, car ses règles continuent d’exister et la libéralisation du commerce international s’opère par le biais de dizaines d’accords bilatéraux de libre-échange. Si la refondation de l’OMC nécessite de réformer les règles multilatérales existantes, afin de les rendre plus cohérentes avec les objectifs de développement durable, la refondation du commerce mondial nécessite plus généralement de réviser les règles de ces accords bilatéraux de libre-échange.

Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11 et auteur de « Refonder le commerce mondial : du libre-échange à l’échange durable » (CAL, 2021).

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