Carte blanche
L’impact toxique d’un traité international sur l’énergie (carte blanche)
Avez-vous entendu parler du Traité sur la Charte de l’énergie, ou TCE ? Il y a de fortes chances que non. Cet accord controversé permet aux entreprises du secteur de l’énergie de poursuivre les gouvernements en justice au sujet de la politique climatique. Selon le dernier rapport du GIEC, il constitue l’un des principaux obstacles à la transition énergétique tant attendue. Après quatre ans, les négociations sur la « modernisation » du TCE s’achèvent ce vendredi. Cornelia Maarfield, du Réseau Action Climat Europe, ne croit pas à une fin heureuse. Elle préconise une sortie de ce traité.
Il est déjà assez difficile de constater la hausse des prix de l’énergie et d’entendre l’histoire de ceux qui, dans notre société, ont du mal à joindre les deux bouts. Mais ce qui est encore pire, c’est qu’il y a un groupe de sociétés du secteur de l’énergie qui utilisent cette crise pour se remplir les poches. Il a été récemment rapporté que les plus grands producteurs de pétrole et de gaz ont réalisé près de 100 milliards de dollars de bénéfices au cours du premier trimestre de 2022.
Système juridique parallèle
Ce n’est pas une triste exception. Les industries du charbon, du gaz et du pétrole semblent avoir trouvé le moyen de tirer profit des crises – y compris de la crise climatique, qu’elles ont contribué à créer et qu’elles ont décidé d’ignorer. Comment cela fonctionne-t-il ? Croyez-le ou non, elles ont accès à un système juridique parallèle qui leur permet d’intenter une action en justice pour obtenir une compensation pour presque toutes les actions d’un État qui interfèrent avec leurs profits. Les entreprises de combustibles fossiles l’ont utilisé dans le passé pour poursuivre les gouvernements au sujet de nouvelles taxes, de politiques visant à réduire la pauvreté énergétique, de l’augmentation du salaire minimum et, enfin et surtout, des politiques climatiques.
Prenez les géants allemands de l’énergie RWE et Uniper. Ils possèdent deux centrales électriques au charbon aux Pays-Bas et réclament aujourd’hui 2,4 milliards d’euros de dédommagement parce que le pays a décidé d’éliminer progressivement le charbon en 2030. Dans le même temps, une société pétrolière britannique appelée Rockhopper réclame 275 millions de dollars à l’Italie parce qu’elle n’a pas obtenu de permis de forage pétrolier après que l’Italie a interdit ces extractions près de ses côtes. Enfin, Ascent Resources, une autre société britannique, intente une action en justice contre la Slovénie pour avoir exigé une évaluation des incidences sur l’environnement et avoir ensuite interdit complètement la fracturation hydraulique.
Toutes ces affaires se basent sur le traité sur la charte de l’énergie (TCE), un accord international signé dans les années 1990 et qui compte plus de 50 États membres en Europe et en Asie. Il confère des droits étendus aux investisseurs étrangers et un outil très puissant pour faire valoir ces droits – non pas devant les tribunaux, mais dans le cadre d’un système d’arbitrage privé, dans lequel trois avocats surpayés spécialisés dans les investissements peuvent ordonner aux États de verser des montants non plafonnés de l’argent des contribuables aux investisseurs dans le secteur de l’énergie.
Bénéfices futurs fictifs
En règle générale, les arbitres n’accordent pas seulement une indemnisation pour les pertes réelles subies par une entreprise, mais aussi pour les bénéfices fictifs futurs qu’elle aurait pu réaliser. Cela vous paraît absurde ? En voici un exemple : Rockhopper a investi 29 millions de dollars pour des explorations dans la mer Adriatique, mais réclame maintenant près de 10 fois ce montant parce qu’elle attend des contribuables italiens qu’ils la dédommagent pour le pétrole qu’elle aurait pu potentiellement vendre si elle avait obtenu son permis de forage !
Et ce n’est pas tout. L’UE et les États membres de l’UE ont déjà réalisé que le TCE est un véritable problème et met en danger les objectifs de l’Accord de Paris. Ils tentent donc désespérément de changer les règles dans le cadre d’un processus de réforme en cours, qui devrait se conclure par une réunion à Bruxelles le 24 juin. Nous avons suivi ce processus de près et il est tout à fait clair qu’il ne produira pas les changements systémiques dont l’accord aurait besoin pour permettre aux États de mener des politiques climatiques et d’autres politiques dans l’intérêt public sans avoir à craindre des batailles juridiques longues et coûteuses dans des arbitrages privés.
Il existe un réel danger que les parties contractantes signent néanmoins ces changements cosmétiques, ce qui reviendrait à écologiser ce dangereux traité. Nous ne pouvons pas permettre cela. La seule véritable solution est de tourner le dos au TCE. Les États doivent se retirer de l’accord, en répondant à l’appel de plus d’un million de citoyens européens qui ont signé une pétition à cette fin.
L’élan en faveur d’un retrait se renforce. L’Allemagne, l’Espagne et la Pologne ont toutes déclaré qu’elles trouvaient les résultats de la réforme insuffisants et exhortent la Commission européenne à préparer une voie de sortie. L’Italie est déjà partie. Il est temps que la Belgique rejoigne ce groupe croissant de pays et contribue à mettre fin à un système qui donne des droits illimités aux pollueurs. Avec des phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus nombreux et la guerre en Ukraine, qui soulignent tous deux la nécessité de mettre fin à la dépendance aux combustibles fossiles, il n’y a pas de temps à perdre.
Par Cornelia Maarfield, du Réseau Action Climat Europe
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