Carte blanche
« L’hypocrisie fait partie intégrante de la politique »
Margareta Hanes, docteure en philosophie politique, dissèque le concept d’hypocrisie. Une attitude, selon elle, qui se répand partout, y compris dans la sphère politique.
Combien d’entre nous n’ont pas critiqué le comportement de quelqu’un uniquement pour minimiser son importance lorsqu’il s’agit de nous-mêmes ? Nous cherchons des raisons rationnelles, à nos yeux, des excuses, pour nous convaincre et convaincre les autres que ce que nous faisons est justifié. Une boussole morale est nécessaire pour guider les actions des autres, mais pas les nôtres.
L’hypocrisie est partout. Tant dans nos interactions avec les autres qu’au niveau politique. Étymologiquement, le mot hypocrite est d’origine grecque (du verbe hupokrinesthai, “répondre“), prenant plus tard le sens de personne ayant joué un rôle sur scène. Le but était de paraître ce que nous ne sommes pas, de convaincre le spectateur de notre jeu, de l’attirer dans l’illusion que nous présentions. La vérité est cachée, la tromperie, prioritaire.
L’hypocrite observe les défauts de l’autre, tandis qu’il se complaît dans les siens.
L’hypocrite est celui qui sciemment dit une chose et en fait une autre, étant conscient que ses actions sont en contradiction avec ses croyances. Il est intéressant que cet état devienne d’autant plus inhérent, c’est-à-dire plus naturel et donc moins conscient pour l‘hypocrite, mais toujours présent, d’autant que son attention est dirigée vers l’autre, vers les actions de l’autre qu’il critique, l’accusant d’hypocrisie. L’hypocrite observe les défauts de l’autre, tandis qu’il se complaît dans les siens. C’est une sorte de Tartuffe, de la comédie de Molière, qui agit en fonction de son propre intérêt. Il embrasse la contradiction et parvient à convaincre indirectement même ceux qui croient en ses rationalisations de devenir des hypocrites comme lui. L’hypocrite, moins il se critique, moins il prend conscience qu’il est lui-même un hypocrite, mais voit de l’hypocrisie chez les autres.
David Runciman, dans son livre, Political Hypocrisy: The Mask of Power, from Hobbes to Orwell and Beyond, attire l’attention sur le fait que l’hypocrisie fait partie intégrante de la sphère politique, et qu’il ne faut pas toujours l’écarter, ne pas la voir en termes négatifs. Il faut distinguer l’hypocrisie bien intentionnée de l’hypocrisie mal intentionnée. Parfois, un politicien peut déguiser son vrai caractère par des actes de bienfaisance, par exemple, et en ce sens, même s’il est un hypocrite dans le sens où ses actions sont en désaccord avec ses convictions, au moins il fait une bonne chose. L’hypocrisie prend une forme acceptable, et est même encouragée. Or selon la pensée de George Orwell, une sincérité excessive n’est pas toujours la bienvenue (surtout lorsqu’elle révèle des aspects négatifs), et par conséquent une certaine dose d’hypocrisie est préférable. Par exemple, une politesse exagérée peut être un geste hypocrite, mais ce n’est pas forcément condamnable.
Bien sûr, des problèmes se posent avec le temps, car le double standard, inhérent à l’hypocrisie, peut conduire à la perte de l’importance de la parole, de la confiance en l’autre. On dit une chose, on en fait une autre. L’interaction avec l’autre devient fausse. La communication, au lieu d’être une route à double sens, devient à sens unique, à l’ombre de la méfiance. Les négociations deviennent volatiles, car elles se déroulent sur des sables mouvants.
Si nous acceptons le double standard, parce que nous sommes convaincus qu’il en est ainsi aujourd’hui, nous devons aussi accepter implicitement que ce que nous avons décidé d’un commun accord peut être changé, modifié unilatéralement, lorsque nos croyances changent ou que les vraies viennent à éclairer.
Si nous acceptons les contradictions, nous devons en quelque sorte accepter aussi les contraires. En d’autres termes, nous pouvons changer d’avis du jour au lendemain, aller à l’autre extrême, et agir en conséquence. Deux États ont décidé de faire la paix? L’accord, qui repose en réalité sur le pouvoir de la parole, peut être annulé par l’une des parties, si le double standard, la dissimulation de la vérité pour manipuler l’autre, a été tacitement accepté dès le départ. Et cela arrive souvent, notamment dans des situations de crise, de guerre, de pandémie, lorsque les traités sont modifiés selon les intérêts de certains États ou selon les préférences de certains politiciens. Pourquoi? Car le mot perd de son importance, se vide de contenu, ne devient plus qu’une forme sans fond.
Hypocrisie: la paille et la poutre
Si nous acceptons l’hypocrisie en général, en particulier la nôtre, nous devons implicitement accepter à la fois les conséquences de nos actions et celles des autres (hypocrites). C‘est-à-dire, ne soyons pas consternés et déçus si un ami, un politicien, un membre de notre famille est un hypocrite, surtout en ce qui nous concerne. Lorsque nous les critiquons, demandons-nous si notre critique est justifiée, c’est-à-dire si les règles (morales) que nous sommes convaincus qu’ils ne respectent pas, les respectons-nous nous-mêmes ?
L’hypocrisie s’articule autour de trois concepts : vérité, sincérité, confiance. L’hypocrite cache la vérité, c’est-à-dire qu’il est malhonnête avec l’autre, violant ainsi sa confiance. Tout cela, afin de poursuivre ses propres intérêts. Il agit selon ses propres désirs en prononçant des discours qui contredisent ses actions, mais sont formulés de manière à augmenter sa valeur aux yeux des autres. En plus de cela, il est aussi un moralisateur. Et un manipulateur. Il ne dépend que de nous si nous tombons dans ses filets, si nous acceptons de vivre dans une société où la vérité et la confiance deviennent des vains mots.
Margareta Hanes, docteure en philosophie politique de Vrije Universiteit Brussel
Le titre est de la rédaction. Titre original: « L’hypocrisie, une indulgence acceptée ? »
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