Carte blanche
Comment les produits locaux permettront l’essor du commerce équitable
Voulons-nous que le commerce équitable progresse fortement en Belgique? Alors il doit s’ouvrir aux produits locaux.
Flash-back: 2009, la crise du lait bat son plein en Europe. Des images chocs frappent les esprits. En Belgique, des millions de litres de lait sont alors déversés sur les prairies par des agriculteurs au bord de la faillite. La raison ? Des prix proposés aux fermiers en dessous des coûts de production. Rien, ou si peu, n’a changé aujourd’hui. Les agriculteurs de nos régions réclament donc eux aussi des prix corrects, alors que le commerce équitable local prend petit à petit son envol. Des acteurs spécifiques comme Fairebel et le label «Prix Juste Producteur» émergent, des acteurs historiques du secteur comme Oxfam lancent des initiatives locales, et des labels internationaux comme Fair for Life ou World Fair Trade Organization s’intéressent désormais aux produits locaux.
Compte tenu des nombreuses crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui (changements climatiques, crise énergétique, destruction de la biodiversité…), intégrer les produits locaux augmente la cohérence et la pertinence du commerce équitable. En effet, ces crises nous obligent à repenser nos échanges. La manière dont nous avons organisé la mondialisation des marchés, avec des chaînes de valeur internationales en flux tendu, nous rend extrêmement fragiles et vulnérables, tout en exerçant une forte pression sur les écosystèmes ; sans parler des conséquences sociales externes telles que l’accroissement des inégalités.
Cette évolution soulève toutefois des questions : les produits équitables locaux concurrencent-ils les produits équitables provenant habituellement des pays du Sud?
Pour des produits comme le café, le cacao, la question ne se pose pas, puisque ces produits ne peuvent être cultivés qu’en zones tropicales. Mais pour les fleurs, le vin, le miel ou certains jus de fruits ? Pour le miel, l’offre européenne est inférieure à la demande. Donc tant qu’à faire venir le miel d’ailleurs, autant qu’il soit équitable. Pour le vin et les jus de fruits, typicités organoleptiques et goûts liés aux terroirs mis à part, les bilans carbone et l’empreinte écologique des produits provenant de différentes zones géographiques sont à considérer. N’oublions pas de prendre aussi en compte les modes de production. Un produit bio issu de l’agroécologie provenant du Sud et transporté par bateau (voire par voilier cargo) pourrait avoir une empreinte écologique moindre qu’un produit venant d’Espagne issu de l’agriculture industrielle.
Concrètement, la « cohabitation » ne semble pour l’instant pas poser trop de problèmes. A part le remplacement d’un jus de pomme chilien par un jus de pommes belge, Oxfam-Magasins du monde distribue des produits «Nord» complémentaires à sa gamme originelle.
Intégrer les produits locaux constitue un axe de promotion stratégique du commerce équitable, d’autant que les consommateurs belges y sont tout à fait favorables.
Le baromètre 2024 du commerce équitable, publié par le Trade for Development Centre d’Enabel, montre que les Belges accordent une importance significativement plus élevée aux produits locaux (45%) par rapport aux produits équitables (17%). Selon cette même étude, 68% des personnes vivant en Belgique considèrent que le commerce équitable devrait également concerner des produits d’agriculteurs belges ou européens.
Par ailleurs, le café, les bananes et le chocolat restent les principaux produits équitables identifiés comme tels et achetés par les Belges, et les volumes de ventes de produits équitables en provenance des pays du Sud semblent avoir reculés en 2023.
Il paraît donc assez évident que les produits équitables locaux peuvent constituer un point d’entrée important pour le développement du commerce équitable, en mettant en avant l’universalité de l’approche et la complémentarité des gammes de produits.
Samuel Poos, chef de projet du Trade for Development Centre d’Enabel
Ce texte n’engage que son auteur et vise à contribuer au débat. Il ne représente ni l’opinion d’Enabel ni celle de la Coopération belge au développement.
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