Carte blanche
Les Israéliens à Gaza: créer le terrorisme de demain, ou arrêter les combats et reconnaître l’Etat palestinien?
«Lutter contre le terrorisme des extrémistes palestiniens exige de s’attaquer aux causes qui sont à l’origine de leurs actions», selon Bernard Adam, ancien directeur du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité.
Le 7 octobre 2023 a été une journée de cauchemar. Des miliciens palestiniens du Hamas ont tué 1.160 Israéliens. La population civile israélienne a été traumatisée par cet acte terroriste d’une cruauté entièrement condamnable et d’une ampleur qu’Israël n’a jamais connu.
Israéliens et Palestiniens vivent dans des réalités fort différentes
La cause principale de l’action du Hamas, est que deux peuples, ou plutôt leurs dirigeants, ne parviennent pas à s’entendre pour vivre côte à côte depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948, sur le territoire de la Palestine et qui a provoqué l’exode de 700.000 Palestiniens, soit plus de la moitié de la population palestinienne d’avant 1948.
Ces deux peuples vivent actuellement des réalités très différentes. Le Produit intérieur brut (PIB) annuel par habitant est de 55.000 dollars en Israël et de 6.243 dollars dans les territoires palestiniens, soit près de neuf fois moins. Le taux de chômage est seulement de 3 % de la population active en Israël, de 25 % dans les territoires palestiniens, et de 45 % dans la bande de Gaza avant le 7 octobre 2023.
Selon le classement mondial du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), qui combine la richesse, la santé et l’éducation, Israël est actuellement situé en 22ème place, juste après les Etats-Unis, mais avant l’Espagne, l’Italie et la France, tandis que les territoires palestiniens se classent à la 106ème place.
« Soutenir le Hamas pour empêcher l’établissement d’un Etat palestinien »
Tout au long de leur occupation de la bande de Gaza après 1967, les autorités militaires israéliennes ont soutenu les mouvements religieux islamistes qui ont donné naissance au Hamas en 1987, et ont réprimé les organisations laïques et nationalistes de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine). L’objectif était d’empêcher la création d’un Etat palestinien.
Cette stratégie a été renforcée par le Premier ministre Benyamin Netanyahou. En 2019, il a déclaré : « Quiconque veut empêcher l’établissement d’un Etat palestinien doit renforcer le soutien au Hamas et lui transférer de l’argent ».
Les Israéliens ont cru pouvoir dominer le Hamas, maintenu dans une bande de Gaza verrouillée, entourée d’un mur de protection qu’ils croyaient infranchissable et surveillé au moyen d’une technologie qu’ils pensaient parfaite. Ils n’ont pas vu qu’ils ont ainsi fabriqué la parfaite cocote minute. Elle a explosé le 7 octobre 2023. La stratégie et les certitudes israéliennes ont volé en éclat.
« Israël a le droit de se défendre »
Après le 7 octobre 2023, plusieurs dirigeants de pays occidentaux ont affirmé qu’Israël avait le « droit de se défendre ». Mais les Israéliens ont cru qu’ils avaient reçu un feu vert pour quasiment tout détruire à Gaza. Malgré de nombreux appels à la retenue, les Israéliens y ont détruit entièrement ou partiellement plus de la moitié des habitations. Ils ont imposé le déplacement de 1,9 million de Palestiniens, soit 80 % de la population, dans un territoire fort exigu dans le sud de Gaza.
Début avril, le bilan des attaques israéliennes a dépassé le chiffre de 32.000 morts parmi les Palestiniens, soit vingt-huit fois plus que les 1.160 Israéliens assassinés le 7 octobre.
Ce bilan cruel ne semble pas le résultat de bavures, il s’agirait d’un objectif. Des membres du renseignement israélien, ont dit à un journaliste israélien : « Tout est intentionnel. (Le but) est de nuire à la société civile palestinienne, pour créer un choc qui se répercutera puissamment et conduira les civils à faire pression sur le Hamas ».
La création du terrorisme de demain ?
Le Ministre de la Défense américain, Lloyd Austin, a fait part de son expérience en tant que général qui a combattu en Irak et en Afghanistan : « On ne peut gagner une guerre urbaine que si l’on protège les civils (…). Si vous poussez la population civile dans les bras de l’ennemi, vous remplacez une victoire tactique par une défaite stratégique ». En d’autres termes, Israël commet une grave erreur, au lieu de se retourner contre le Hamas, la population civile risque de lui accorder davantage de soutien.
C’est bien ce qui s’est produit parmi les Palestiniens. Des sondages ont indiqué qu’en Cisjordanie, en septembre 2023, les intentions de vote des Palestiniens étaient de 40 % pour le Fatah et de 24 % pour le Hamas. En décembre 2023, après les destructions israéliennes à Gaza, les résultats ont été inversés : 18 % pour le Fatah et 50 % pour le Hamas.
Le risque est donc grand que l’action militaire démesurée d’Israël, guidée par un sentiment de vengeance, aboutisse à l’inverse des objectifs annoncés par Benyamin Netanyahou. Ce dernier affirme que son but est que la sécurité d’Israël ne soit plus jamais mise en péril comme le 7 octobre 2023. Un autre scénario pourrait émerger : les massacres et destructions à Gaza ne pourraient-ils pas créer le terrorisme palestinien de demain ?
Fin des combats et reconnaissance de l’Etat palestinien
La résolution des Nations unies de 1947 prévoyait la création de deux Etats. L’un, Israël, a été créé. L’autre, l’Etat palestinien n’a jamais été reconnu par Israël et ses alliés occidentaux. Actuellement l’Etat palestinien est cependant reconnu par 139 Etats parmi les 193 membres des Nations unies.
Assurer la sécurité d’Israël nécessiterait de revenir à l’esprit de la résolution de l’Onu de 1947 qui prévoyait la garantie des droits des minorités juives et palestiniennes dans chaque Etat, ainsi qu’une coopération entre les deux Etats. Il serait temps que les Etats-Unis et les pays européens prennent leurs responsabilités et agissent pour convaincre Israël de reconnaître l’Etat palestinien.
La sécurité d’Israël ne sera jamais garantie par une illusoire puissance de leur armée comme l’a montrée cette tragique journée du 7 octobre 2023. Lutter contre le terrorisme des extrémistes palestiniens exige de s’attaquer aux causes qui sont à l’origine de leurs actions.
Par Bernard Adam, directeur du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip) de 1979 à 2010.
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