Bernard De Commer
L’enseignement… avant les autres compétences: et si on régionalisait tout ?
« Et si, plutôt que des chipotages, on donnait aux régions les compétences de la fameuse Fédération Wallonie-Bruxelles ? », se demande Bernard de Commer, instituteur retraité et ancien permanant syndical,
Je lisais, par ailleurs[1] que « cela bouge dans l’espace francophone. ECOLO veut alléger la mécanique des parlements wallons, bruxellois et de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour raffermir la collaboration entre francophones et rendre le tout plus efficace ».
Et si, plutôt que ces chipotages, on donnait aux régions les compétences de cette fameuse Fédération Wallonie-Bruxelles ?
Et puisque la rentrée scolaire est toute proche, si on commençait par la régionalisation de l’enseignement ? Dans la foulée, les autres devraient suivre.
1. Un imbroglio institutionnel
En 2008 déjà, – et cette position est restée inchangée depuis -dans une communication signée Isabelle MICHEL, l’Interrégionale wallonne à la question du pourquoi régionaliser l’enseignement répond :
« D’abord, parce qu’elle reste un pouvoir public faible. » qui ne peut développer « une fiscalité autonome »
Ensuite, parce que « L’isolement au sein de la Communauté de compétences réputées non rentables comme l’éducation ou la culture – elles sont en fait des investissements ! – les confine dans des politiques financières d’enveloppes fermées. »
Des motivations d’ordre économique donc, mais pas seulement.
Se référant au Congrès d’orientation qui s’est tenu les 11 et 12 mai 2006, l’auteure insiste :
« La Région wallonne souffre d’un déficit d’image. Pour résister aux tentations sous régionales, il est nécessaire que la Wallonie renforce sa propre identité aux yeux des Wallons eux-mêmes. Malheureusement, elle ne dispose pas directement des leviers culturels pour le faire de manière totalement autonome. Ces outils sont, en effet, logés dans les compétences de la Communauté française : enseignement, culture, médias, sports… »
Rappelons, quand même, au passage, que la Belgique n’est pas vraiment un état fédéral au sens commun comme le sont d’autres états fédéraux en Europe et ailleurs. En effet, un état fédéral est constitué d’états fédérés qui souhaitent transformer leurs rapports de force en rapports de droit. Un état fédéré a toutes les compétences d’un état à l’exception de celles qu’il veut bien déléguer à l’état fédéral. Délimité par des frontières, un état fédéré a un pouvoir fiscal et exerce ses compétences en matière économique, sociale, culturelle, éducative. Si les régions possèdent de larges compétences, y compris fiscales, elles se voient amputées de leur enseignement. Par contre, les Communautés, sans pouvoir fiscal, parce que sans territoire, héritent d’un certain nombre de compétences personnalisables. Cet imbroglio constitutionnel belgo-belge n’a pas été sans graves répercussions sur l’enseignement jusqu’à nos jours. C’est, en effet, l’état fédéral qui dote les communautés et les régions et non, comme on pourrait s’y attendre dans une structure fédérale, l’inverse. Dès lors, on a assisté des dizaines d’années durant à un incessant marchandage entre le nord et le sud du pays : plus d’argent aux communautés contre plus de compétences aux régions.
Et sans doute, lors des prochaines élections, va-t-on s’adonner à nouveau à ce petit jeu.
2. Petit coup d’œil dans le rétro
Le monde de l’enseignement a été très vite le révélateur de l’incapacité de la communauté française ( entre-temps Fédération Wallonie/Bruxelles) à faire face à ses obligations en matière d’enseignement (mais pas seulement dans ce domaine), faute surtout de moyens financiers.
Le 22 février 1990, le front commun de l’enseignement en Communauté française (ainsi qu’on l’appelait encore à l’époque) dépose un cahier de revendications sectorielles. Il se résume à peu de choses : le maintien de l’emploi, des frais de fonctionnement et des dotations, un nouveau mode de financement pour l’enseignement. Ni plus, ni moins que par le passé. Les négociations sont prévues pour avril.
Personne n’imagine, ce jour-là, et surtout pas dans les états-majors syndicaux, que la crise durera 288 jours dont 5 mois de grève ininterrompue ( 5 fois plus longtemps que celle qui a frappé les T.E.C. à l’époque) et 70 manifestations. La première, le 25 avril : quelques centaines de délégués. La dernière, le 18 novembre à Bruxelles : 100 000 personnes dans les rues (seules la Marche antimissile dans les années septante et la Marche Blanche dans les années nonante feront mieux). Entre les deux, le slogan Il faut revoir la Loi de financement aura eu le temps de s’étaler en toutes lettres sur les calicots et dans les médias.
Les choses ont-elles vraiment changé plus une trentaine d’années plus tard ?
Si on prend les chiffres de 2021, la dette de la Fédération s’élevait à 9,6 milliards et même 10 ,7 milliards, si on intègre les emprunts pour lesquels elle a donné sa garantie. Le ratio dette/recettes était de 86%.
La disette totale donc ; cette même disette qui ,sous la houlette de Mme ONKELIKX, par exemple, allait, via une rationalisation de l’enseignement secondaire, faire perdre, dans ce niveau d’enseignement, quelques milliers d’emploi, accroître encore le taux d’échecs, accentuer la tendance présente depuis plusieurs années à faire de l’enseignement professionnel une filière de relégation et générer plus de violences qu’il n’y en avait jusque-là dans les écoles. Et ce n’est pas tout : les écoles d’enseignement supérieur non universitaire deviendront, via des fusions imposées, les Hautes Ecoles vivotant toujours à la limite de l’asphyxie avec des enveloppes de subventions fermées alors que leur population d’étudiants ne cesse de croître et les obligeant à la perception illégale mais tolérée de droits d’inscription complémentaires. Sans oublier l’introduction de coefficients réducteurs dans l’enseignement de promotion sociale et même dans l’enseignement spécialisé.
Et, depuis, chaque rentrée scolaire, l’on se lamente sur la pénurie d’enseignants !
En 2019 – et les choses ne se sont certainement pas améliorées depuis – Jean-Yves WOESTYN, attaché au Service de la Réforme des Titres et Fonctions, et président de la Chambre de la Pénurie et de celle des Mesures transitoires, déclarait dans le magazine PROF : « La pénurie est présente à tous les niveaux, du fondamental à la promotion sociale en passant par le secondaire, tant dans l’ordinaire que le spécialisé. Elle augmente. Elle présente deux pics : les instituteurs primaires et les professeurs de math, sciences et langues au secondaire ». [2]
Un problème vieux de plus de vingt ans et qui ne cesse donc de croître.
3. Et la solidarité entre francophones ?
C’est l’argument premier invoqué parles opposants à la régionalisation de l’enseignement.
La Région wallonne intervient déjà dans le financement de la Communauté Wallonie-Bruxelles : les transports scolaires, les bâtiments, le financement de recherches réalisées par les universités,… La mise à disposition, aussi, d’A.C.S et autres, dans les établissements scolaires.
Ce financement est, malgré tout, marginal même s’il a permis à la Communauté de souffler quelque peu. Il s’est accompagné, fort justement, d’un transfert de compétences ou de gestion bilatérale appelée pudiquement synergies.
Et donc des accords de coopération sont donc tout à fait possibles entre les Régions.
Autre argument avancé par les opposants, comme le soulignait José FONTAINE il y a plus de vingt ans : « D’un point de vue national, la Wallonie est au milieu du gué. La Belgique francophone peut aussi se réclamer d’un Etat, l’Etat belge, et de la Communauté. Par ce biais, elle tente une dernière manœuvre désespérée par la seule voie qui lui reste possible : prétendre que les importantes institutions étatiques wallonnes – un fait, forcément indiscutable – n’émanent pas des populations wallonnes ou qu’elles ne les éprouvent pas comme les leurs. Les Wallons auraient donc une Wallonie non désirée » [3]
C’est évidemment un non-sens que d’accréditer l’hypothèse d’un peuple wallon inexistant, même s’il faut bien l’avouer beaucoup de travail reste à faire au plan de la conscientisation de ce même peuple qui s’est forgé une identité propre au fil de deux siècles de conflits sociaux et d’immigrations économiques (à commencer par l’immigration flamande dont un VAN CAUWENBERGHE, une ONKELINX et, plus modestement, votre serviteur du jour sont les descendants directs).
4. Une Belgique à quatre régions comme solution
« Un État, quatre régions : le modèle est incontestablement plus lisible que l’actuelle lasagne institutionnelle et c’est particulièrement vrai à Bruxelles où l’on se perd entre les acronymes de FWB, Cocom, Cocof, la VGC, la VG. Lisible, oui mais ce modèle est-il viable pour autant ? Nous nous sommes penchés sur cette étude. » écrit Véronique FIEVET dans les newsletters de la RTBF.[4]
Et de citer Maxime Fontaine, chercheur en Finances publiques à l’ULB et coordinateur de l’étude, en homme prudent : « Possible mais pas simple ! En Belgique, toutes les réformes de l’État ont été compliquées ! Mais d’un point de vue institutionnel, il n’y a pas de difficultés insurmontables, même s’il faut revoir la constitution et certaines lois spéciales, mais c’est faisable. La négociation politique, elle, sera plus ardue, mais c’est un autre débat. »
En effet, mais un débat auquel, tôt ou tard, il faudra bien s’atteler.
[1] 17 mai 2023, dans SUDINFO,
[2] PROF n° 43. 2 septembre 2019.
[3] TOUDI 28-29 de mai/juin 2000
[4] 17 mai 2023
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Et si on régionalisait tout? »
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