Carte blanche
« Le niveau de l’enseignement baisse ». Vraiment ? (carte blanche)
« Le niveau des élèves baisse ». Le slogan fait recette depuis l’Antiquité, observe Jacques Liesenborghs, ancien sénateur Ecolo. Comme une évidence. Le niveau ? Quel niveau ? De qui ? De quoi ? Baisse ou change ?
A la mi- juin, le très influent Bureau fédéral du Plan a eu son petit succès dans la presse. Dans une étude, il dénonçait le « coût caché de la pandémie : la baisse du niveau scolaire » et son frère jumeau, le « nivellement par le bas ». Et plus question de pointer seulement l’orthographe ou le calcul, « cette baisse concerne toutes les matières analysées ». C’est donc très grave, docteur ?
Oui, si on croit les économistes flamands qui ont réalisé cette enquête. Oui, leurs chiffres ont de quoi effrayer : « La perte d’apprentissage est estimée à 53% des acquis d’une année scolaire. Pour les langues et les sciences à environ 60% ». C’est leur bilan pour l’enseignement flamand en 2021. Du côté francophone, on ne disposerait pas de données aussi précises. Mais « certains éléments laissent néanmoins penser que la baisse de niveau scolaire pourrait avoir été plus importante encore ».
Coût économique
Si les économistes du Bureau du Plan sont si alarmistes, c’est qu’ils en tirent des conséquences … économiques. Mais pas seulement. « Cette baisse freine le développement de l’ensemble de la société ». Ils précisent : « Une baisse des revenus individuels et du produit intérieur brut (PIB) … la perte d’apprentissage pourrait faire baisser le salaire de la génération actuelle d’environ 3,9%. » Pour bien marquer les esprits, ils ajoutent: « En multipliant ces chiffres par le nombre d’années durant lesquelles ces élèves travailleront, le coût économique serait considérable ».
Si je cite ces chiffres et considérations des économistes du Bureau du Plan (d’autres sont plus prudents), c’est parce que leur « sortie » n’est pas innocente. Ils veulent être entendus ! Par les politiques, par les décideurs de tous niveaux, par les universitaires et par le monde de l’enseignement. Leurs conclusions claquent comme un sévère avertissement. De quoi donner du grain à moudre aux alarmistes et à ceux qui accordent une confiance aveugle aux chiffres.
Et le coût humain ?
Gare aux mesures qui seraient dictées dans l’urgence par les « retards à combler » dénoncés par les économistes. Elles ne feraient qu’amplifier le coût humain de la pandémie. Mal-être et perte de confiance en eux/elles de nombreux adolescent(e)s. Décrochage scolaire et renforcement des inégalités. Enseignants et écoles injustement accusés de laxisme. Ou encore parents peu soucieux de ce coût économique.
La vérité des chiffres (s’il y en a une) est tout autre. Les enquêtes PISA indiquent sans interruption depuis des années que les ‘bons’ élèves belges sont à classer parmi les meilleurs des pays développés. Mais les mêmes enquêtes soulignent avec la même régularité une situation qui devrait nous inquiéter (et pas un peu !) : le grand écart entre les ‘bons’ élèves et celles et ceux que le système scolaire élimine. Toujours les mêmes : les enfants des milieux populaires. Ce que nous devrions dénoncer et surtout corriger, ce sont ces profondes inégalités.
Le niveau change !
C’est Bruno Humbeeck (UMons) qui utilisait récemment cette formule. Tout en ajoutant que la métaphore du « niveau » prête à bien des confusions. Il faudrait plutôt examiner ce qu’il appelle « le parcours d’acquisition de compétences ». Cela indique que la nuance sera de mise. D’autant qu’il s’agit d’examiner les compétences qu’on est en droit d’attendre d’un jeune adulte du 21è siècles ! Oui, il faudra allonger la liste de ces compétences et sûrement alléger certains programmes. D’où l’invitation à « changer » de logiciel. Et à débattre avec le plus large public possible de la nécessité de ce changement.
Bref retour sur l’orthographe. Sans doute un constat irréfutable : les dictées de 1950 provoquent aujourd’hui un échec massif. Même des ‘bons élèves’ ! Faut-il s’affoler ? On peut rappeler que l’orthographe du français est particulièrement corsée. Les Italiens et les Espagnols ont eu la sagesse de simplifier les mots les plus compliqués hérités du latin et du grec. Heureux sont leurs enfants. De notre côté, nous pourrions peut-être nous contenter d’assurer la maîtrise des « essentiels » et de renvoyer aux nombreux outils qui permettent de se corriger.
Les compétences d’un adulte du 21è siècle ? Avant d’en évoquer quelques-unes « nouvelles » ou qui sont plus importantes dans nos sociétés que dans celles d’hier ou d’avant-hier, prenons bien garde à ne pas charger la barque. Il faudra donc faire un tri dans des habitudes solidement ancrées. Pas facile !
Il faut donc impérativement se tourner vers l’avenir et quitter la nostalgie du « c’était mieux avant »
C’est donc la hiérarchie des compétences qui est en cause. Est-ce qu’il n’est pas nécessaire aujourd’hui d’accorder plus de place dans la scolarité donc plus de temps à …. ? C’est la question cruciale qui nous est posée à tout(e)s. Sans vouloir être exhaustif, je reprends quelques suggestions de Bruno Humbeeck : outre des compétences disciplinaires incontournables, on est en droit d’attendre que l’école ait développé, au fil du parcours, le sens critique, le respect des différences, l’empathie, le goût du travail collectif, le goût du beau, le souci de la Terre-mère et de tous les vivants, la coopération plutôt que la compétition, une ouverture modérée aux NTIC, la recherche des nuances et le goût de la complexité… A chacun de compléter, si besoin.
Il faut donc impérativement se tourner vers l’avenir et quitter la nostalgie du « c’était mieux avant ». Elle empêche de s’engager dans des projets qui mobilisent les élèves et qui donnent du sens aux apprentissages parce qu’ils sont en prise avec des défis qu’ils ont ou auront à relever.
Un curieux silence
C’est vrai qu’on entend et qu’on lit peu ce type de réflexions. Rares sont les émissions qui donnent le temps aux invités de démonter les fausses évidences. Avec nuances ET dans un langage accessible à tou(te)s. Le débat sur le « niveau change » mériterait qu’on lui consacre, dans tous les médias, une large place. Il est ancré dans la réalité d’aujourd’hui, celle des jeunes. Il doit bousculer les bons et mauvais souvenirs de l’école d’hier, celle du 20è siècle, la nôtre.
Jacques Liesenborghs
Et le CEB ?
« C’est bien, mais c’est moins bien ! », annonçait en ouverture le présentateur du JT de la RTBF, le 28 juin dernier. Avec un sourire entendu. Et ses collègues de la presse écrite étaient unanimes : « Le taux de réussite du CEB est le plus bas de ces 15 dernières années ». Considérations qui ne font que renforcer celles tenues par le Bureau du Plan, la semaine précédente, sur le « niveau scolaire » dans son ensemble ! C’est donc vraiment grave ?
C’est bien : 85% des élèves des 6è primaires ont réussi leur Certificat d’études de base. C’est moins bien : ils étaient 88% en 2021 ! Encore une fois, une confiance aveugle dans des chiffres, des moyennes. Des chiffres dont il faudrait apprendre aux enfants et aux adultes à se méfier. Des chiffres auxquels on faisait dire tout autre chose quand ils étaient meilleurs : « les épreuves sont trop faciles ». C’était le discours en 2015 (93% de réussites) par exemple. Au passage, on notera en 2017 le même score que cette année : 85% de réussites.
Les épreuves ? C’est vrai que, même soigneusement calibrées par des enseignants chevronnés, leur difficulté peut varier légèrement d’une année à l’autre. Mais tout adulte qui veut se forger un jugement personnel peut acheter dans la librairie du coin les questionnaires des dernières années. Il constatera que ces épreuves sont sérieuses. Pas sûr que nous obtenions tou.te.s 85%.
Pourquoi ne pas se réjouir de ces taux de réussite élevés ? Surtout quand les élèves, les enseignants et les parents ont vécu deux années particulièrement chahutées. On devrait tous les féliciter !
Encadré
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