Jules Gheude
Le mal wallon, mythe ou réalité? « Jean-Claude Marcourt, Elio Di Rupo et Paul Magnette sont dans le déni »
Pour l’essayiste politique Jules Gheude, les socialistes Jean-Claude Marcourt, Elio Di Rupo et Paul Magnette sont dans le déni de réalité concernant l’état de la Wallonie.
Le 12 décembre 2022, Jean-Claude Marcourt, président du Parlement wallon, remettait sa démission, de même que les membres du Bureau, dans le cadre de l’affaire qui touchait le greffier, Frédéric Janssens.
Un an plus tard, âgé de 67 ans, il nous informe de sa décision de ne pas se présenter aux élections du 9 juin 2024. Ce qui ne l’empêche toutefois pas d’accepter d’entrer au conseil d’administration de Resa, le gestionnaire de réseau de gaz et d’électricité liégeois.
Dans l’interview qu’il accorde au « Soir », l’homme explique ne plus être en phase avec la façon dont la politique se fait aujourd’hui. Rappelant ses deux amours – Liège et la Wallonie -, il précise : « D’une manière générale, je trouve scandaleux qu’à chaque incident, on fasse référence à un « mal wallon ». Il faut lutter contre cette idée. Le mal wallon, cela n’existe pas. De manière lancinante, une petite musique dit que ce qui est fait en Wallonie est mal fait. Ce n’est pas vrai ! Même si nous avons des problèmes. Dit-on qu’il y a un « mal fédéral » ou un « mal belge » quand, par exemple, la Chambre des représentants se dote d’une extension de ses bâtiments qui a coûté 200 millions ou quand on creuse un tunnel derrière le palais de la Nation, sous la rue Ducale, pour permettre aux députés de rejoindre la questure ? »
Venant de la part de celui qui fut responsable de l’Economie wallonne de 2004 à 2017, ces propos prêtent à sourire lorsqu’on sait que la dette wallonne s’élevait à 34,5 milliards d’euros fin 2022, soit deux fois les recettes annuelles de la Région.
Mais non, il n’y a pas de mal wallon ! Le ministre-président wallon, Elio Di Rupo, explique d’ailleurs que « si tout n’est certes pas rose, la Wallonie va mieux ». Quant au président du PS, Paul Magnette, il conteste vigoureusement le constat livré tout récemment par Cécile Neven, la nouvelle administratrice générale de l’Union wallonne des Entreprises, au journaliste Martin Buxant. Confirmant le risque de « faillite » à moyen terme, l’intéressée déclarait : « Nos enfants et nos petits-enfants ne vont jamais nous pardonner de leur léguer une dette impayable, au motif que nous, on a choisi de vivre au-dessus de nos moyens. »
Jean-Claude Marcourt, Elio Di Rupo et Paul Magnette sont bel et bien dans le déni de réalité. Et leurs sempiternelles incantations ne convainquent plus personne.
Bien sûr que la Wallonie regorge de talents et dispose de ressources, mais elle est victime d’un système qui grippe son moteur et qui a été soigneusement mis en place par le PS ; un PS qui, en 23 ans de régionalisation, a exercé, à trois exceptions près (pour un total de 5 ans…), la ministre-présidence de la Région. Difficile, dans ces conditions, de nier l’influence prépondérante qu’elle a pu avoir dans la gestion des affaires publiques.
Ce système, qui, comme les tentacules d’une pieuvre, s’est infiltré dans tous les rouages de la société, se caractérise par un clientélisme effréné. Il a entraîné ce que feu l’économiste Jules Gazon (ULiège) a qualifié d’ « hypertrophie politico-administrative », tandis que son collègue Robert Deschamps (UNamur) parlait d’une Wallonie « vivant au-dessus de ses moyens et en dessous de ses capacités ».
Autre caractéristique de ce « mal wallon » : l’action syndicale, qui empêche les réformes indispensables. En juin 2016, l’ex-patron de l’Agence wallonne à l’Exportation (AWEX) voyait dans la grève « le plus grand problème wallon ». Selon une étude du CRISP (Centre de Recherche et d’Information socio-politiques), les Wallons ont totalisé 110 jours de grève en 2017, contre 39 pour les Flamands.
Concernant les exportations wallonnes précisément, Cécile Neven relève qu’elles ont déjà marqué une contraction importante de 9,3% au cours du premier semestre 2023 et que les perspectives restent défavorables pour les prochains mois.
Voilà pour le « mal wallon ». Il est bien réel et n’a rien à voir avec l’épidémie Covid et les inondations, ces excuses derrière lesquelles Elio Di Rupo se réfugie un peut trop facilement.
Quant au « mal belge », il existe, lui aussi. François Perin l’a magistralement dénoncé le 26 avril 1980, en démissionnant de sa fonction sénatoriale: « La Belgique est malade de trois maux, incurables et irréversibles. Le premier mal (…) est le nationalisme flamand, qu’il s’avoue ouvertement ou non. Le second, c’est que la Belgique est livrée à une particratie bornée, souvent sectaire, partisane, partiale, parfois d’une loyauté douteuse au respect de la parole donnée et de la signature, mais très douée pour la boulimie avec laquelle elle investit l’Etat en jouant des coudes, affaiblissant son autorité, provoquant parfois le mépris public. Le troisième mal, incurable et irréversible, c’est que la Belgique est paralysée par des groupes syndicaux de toutes natures (…), intraitables et égoïstes, irresponsables, négativistes et destructeurs finalement de toute capacité de l’Etat de réformer quoi que ce soit en profondeur.
Et il n’y a rien, ni homme ni mouvement d’opinion, pour remettre tout cela à sa place et dégager l’autorité de l’Etat au nom d’un esprit collectif que l’on appelle ordinairement la nation, parce que, dans ce pays, il n’existe plus de nation. »
Ce constat révèle toute sa lucidité et sa pertinence à la lumière de ce que nous vivons aujourd’hui : d’entité fédérée, la Flandre est devenue une Nation, qui aspire tout naturellement à s’émanciper en Etat souverain.
Si, hypothèse nullement fantaisiste, la Belgique devait imploser en 2024, faute de pouvoir former un gouvernement fédéral, une majorité absolue pourrait se dégager au Parlement flamand pour proclamer unilatéralement l’indépendance de la Flandre. Selon le dernier sondage « Gazet van Antwerpen » et « Het Belang van Limburg », le Vlaams Belang et la N-VA – dont les statuts prônent ouvertement l’émergence d’une République flamande – sont créditées ensemble de 48,8% d’intentions de vote (respectivement 27,5 et 21,3%). Et nul doute que le CD&V, qui lança l’idée confédéraliste au début des années 90, soutiendrait l’opération. Rappelons-nous, en effet, ces propos tenus en 2007 par Wouter Beke, alors président du CD&V : « Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. » On peut difficilement être plus clair…
Livrée à elle-même, à son corps défendant, la Wallonie se retrouverait alors dans une situation proprement intenable, contrainte à des sacrifices d’une telle ampleur qu’« il en résulterait, pour reprendre les termes de l’économiste Jules Gazon, un climat insurrectionnel ».
Marcourt, Di Rupo, Magnette & Co continueraient-ils alors à chanter « Tout va très bien, madame la Marquise, tout va très bien ! » ?
(1) Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols.
Le titre et le chapeau sont de la rédaction. Titre originel: « Marcourt, Di Rupo, Magnette & Co. Ils sont décidément impayables !«
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