Carte blanche

L’assassinat de Nahel comme révélateur des violences policières en Belgique

Le jeune Nahel a été assassiné le mardi 27 juin 2023 par un policier qui a tiré à bout portant, le touchant mortellement au bras puis au thorax.

Deux vidéos diffusées sur les réseaux sociaux sont venues faire dérailler la machine à produire l’impunité. Des millions de personnes ont soudainement vu ce qui d’habitude est soustrait au regard. Ce qui fait événement dans cette affaire, c’est que cette vidéo, par contraste, révèle des techniques de construction de l’impunité policière : faux p.v., diffamations et calomnies des victimes dans la presse, coalition de fonctionnaires, reprise et traduction des faux p.v. par le parquet, tentative de poursuites des victimes par ce dernier dès les premières heures, etc. Ce qui fait les reprises et les traductions auxquelles nous assistons depuis, c’est le contraste de tout ce qu’on ne voit pas sur la vidéo et qui éclate pour une fois en pleine lumière grâce aux actes juridiques des avocats. Ce sont ces souvenirs qui d’habitude n’appartiennent qu’aux victimes des violences policières meurtrières racistes, à leurs proches et à leurs sœurs et frères de conditions qui sont ainsi, pour une fois, rendus perceptibles au grand jour.

Combien d’autres Nahel dont le meurtre a été effacé par la machine à produire de l’impunité ?

En Belgique, depuis que le CD&V a repris en main le Ministère de l’Intérieur le 9 décembre 2018, entre 65 et 94 personnes (d’après un premier recensement non exhaustif et limité) avec ou sans-papiers sont mortes entre les mains de la police. Les noms de victimes persistent aujourd’hui malgré les tentatives d’effacement grâce aux combats pour la justice menés par les familles. Lorsque le premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) affirme que « la situation en Belgique n’a rien à voir avec la France », lorsque la ministre de l’intérieur, Annelies Verlinden (CD&V) déclare qu’il n’y a pas lieu de faire un audit de la garde zonale à Bruxelles malgré le nombre de morts qui ont eu lieu dans ces cellules et les révélations faites dans la presse sur l’ambiance raciste qui y règne (Le Soir, 21/01/23), on comprend l’ampleur du déni qui pèse sur la question du racisme et des violences policières en Belgique. Or que ce soit sur le plan du nombre de personnes tuées par la police relativement à la population, sur le plan de l’impunité des crimes policiers racistes ou sur l’entretien d’un déni armé, la situation en Belgique est pire qu’elle ne l’est en France.

Récemment, un rapport administratif signé par 18 policiers rapporte que le policier qui a tué Adil en le percutant mortellement lors d’une course poursuite Quai de l’Industrie à Anderlecht le 10 avril 2020 s’est vanté à de multiples reprises de ce meurtre (“j’en ai sorti un de la rue”) instruisant ainsi à la fois un aveux du crime mais aussi un incitation au meurtre raciste (RTBF, 17 mai 2023). Le policier n’a jamais été ni sanctionné, ni inculpé pour ces faits. La situation est suffisamment rare pour être soulevée : ici ce n’est pas une vidéo ou un témoignage extérieur mais bien le témoignage de 18 policiers qui vient contredire la version du policier impliqué dans la mort de Adil, celle du parquet et du juge d’instruction. Le collège de police est pourtant au courant de ces faits graves depuis l’été 2022 par des mails envoyés par plusieurs membres du GIG3. Le bourgmestre d’Anderlecht a été contacté personnellement en février par une inspectrice principale qui dénonçait tant le racisme inhérent à la zone. La policière en question a encore subi des représailles depuis la publication dans la presse du rapport administratif (nouveau mail envoyé au bourgmestre le 22 mai 2023). Pourtant aucune mesure de protection n’a été prise par rapport aux 18 policiers lanceurs d’alerte. Pire, l’enquête interne menée sous la responsabilité du chef de corps qui est lui-même à l’origine des tentatives d’étouffer les faits et de harcèlement sert aujourd’hui de chasse aux sorcières. En outre, cette démarche de démantèlement des effets d’alerte du rapport vise à entraver et à détruire de l’intérieur, par la terreur, une pièce d’instruction. On voit ici comment les enquêtes internes menées par la police constituent indéniablement des entraves à l’indépendance de la justice. Les réactions multiples des jeunes en Belgique travaillent donc à faire lien avec l’effervescence des débats et prises de position en France qui fournissent des directives concrètes pour combattre efficacement l’impunité des crimes policiers racistes.

1) La machine d’écriture policière pour fabriquer l’impunité doit être contrée par des plaintes juridiques tactiques des avocats.

2) Le dépaysement avec dessaisissement immédiat des parquets doit être rendu obligatoire pour briser le lien entre parquet et police. Il faut empêcher les polices locales d’enquêter sur les crimes policiers.

3) Il faut externaliser les enquêtes sur la police à travers un organe indépendant capable de correctionnaliser les délits. Il faut généraliser et renforcer une politique communale proactive basée sur les éléments d’instruction pénaux.

4) L’usage des armes à feu lors des contrôles routiers et des courses poursuites doit être strictement encadré pour éviter les interprétations subjectives.

5) Il faut considérer le racisme comme un mobile en soi dans les poursuites des crimes racistes, en refondant la loi Moureau.

6) Les policiers racistes et/ou affiliés à l’extrême droite doivent être contraints à démissionner de la fonction publique.

7) Un contrôle démocratique de la police doit être organisé via la politisation citoyenne des conseils de police.

8) Une commission d’enquête parlementaire, instruite par des recherches universitaires et activistes, doit être mise en place pour examiner les crimes policiers racistes en Belgique et éclairer une politique anti-raciste pragmatique et informée.

Signataires de la carte blanche:

Anas Amara, travailleur social, JOC  Bruxelles

Ihsane Amirouche, Process engineer

Selim Blieck, journaliste

Georges Cabay, citoyen engagé

Mathieu Chalmagne, artiste et enseignant

Khalid Chatar, travailleur social

Victoria Conrut

Jeanne Delobel, enseignante

Claude Delville, retraité de l’Education nationale

Georgine Dibua, coordinatrice Bakushinta

Alain Dubois, professeur émérite de biologie

Fouad El Abbouti, psychopédagogue

Mohamed El Hendouz, citoyen engagé

Cécile Guypen, citoyenne

Siham Hamid, travailleuse sociale, JOC Bruxelles

Sophie Klimis, Professeure ordinaire de philosophie à l’Université Saint-Louis-Bruxelles

Anouk Lahaie, fondatrice et administratrice du groupe “Je n’oublie pas”.

Christian Lavault, professeur Université Sorbonne Paris-Nord.

Antoine Leblon – Coordinateur  CEC

Marc Daniel Levy, Paris, Aplutsoc

Brahim Lhichou, travailleur social

Constantin Loubris, étudiant

François Makanga, conférencier et artiviste

​​Mehdi Meftah, membre du parti des indigènes de la république

Pierre Millot, membre du CR d’APLutSoc

Anne Westi Mpoma, citoyenne et artiviste

Mélanie Moro, artiste

Quentin Nicolaï, chercheur et enseignant en architecture

Jérome OFFERMANS, éducateur, travailleur social

Jean-Marc Peigneux, animateur, monteur podcast et vidéo

Paula Pintao, citoyenne engagée

Laurent Poisson, artiste et enseignant

Vincent Presumey, militant politique et syndicaliste

Milady Renoir, poétesse, voisine de lutte des sans-papiers

Elsa Roland, chercheuse en sciences de l’éducation, Université Libre de Bruxelles

Yasham Sol, membre de la Gauche anticapitaliste

Anne Thuot, professeure

Martin Vander Elst, anthropologue et activiste

Marina Varin, infographiste

Benjamin Vandeguste, expert mutualiste

Juliette Vincent, citoyenne antifa

Ana-Maria Voicu, Coordinatrice du Comité Contre le Mal Logement

Bakushinta

Bamko asbl

Le Comité Anderlechtois contre les Violences Policières

JOC La Louvière

JOC Bruxelles

Campagne Stop Répression

Parti des Indigènes de la République

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