Carte blanche

La pluie arrive mais la sécheresse reste (carte blanche)

La pluie finira bien par revenir, mais la sécheresse et ses conséquences persisteront longtemps, prévient Kevin Thibaut (ULiège). Mais pourquoi les autorités, à aucun niveau de pouvoir, ne s’en inquiètent pas davantage ?

La pluie arrive ! Un or bleu pour les uns, un bien courant pour les autres. La pluie arrive ! Une délivrance pour les uns, la fin des joies d’été pour les autres. La pluie arrive, la crise s’en va, et ils vécurent heureux… Ainsi pourrait se terminer l’histoire comme dans les plus beaux contes de notre enfance. Mais il n’en est rien… La sécheresse est toujours là, et bel et bien là.

Ce phénomène météorologique, qualifié d’exceptionnel dans bon nombre de définitions, a une dynamique lente, une étendue territoriale importante et des impacts en cascade. Si la sécheresse se laisse désirer – montrant quelques signes avant-coureurs printaniers – , avant d’apparaître en pleine lumière au cœur de l’été, elle ne quitte pas la table des convives aussi facilement, profitant souvent des douceurs automnales. Car oui, même si la pluie arrive, même si la canicule nous quitte, la sécheresse persiste et ne se résorbe pas à coups de tonnerre. Les pluies orageuses, trop intenses, trop brutales sur un sol sec, ne pallieront pas le déficit de précipitations accumulé depuis le début de l’année. Et les dégâts causés par le manque d’eau sont irréversibles – cultures gâchées, fourrage hivernaux entamés, biodiversité aquatique décimée, forêts brulées, maisons fissurées, … – , et marqueront encore l’actualité dans les semaines à venir.

La sécheresse a la fâcheuse tendance de devenir de plus en plus habituelle et de se normaliser dans le paysage de notre plat pays

Ne nous réjouissons donc pas trop vite. D’autant plus que la sécheresse a la fâcheuse tendance de devenir de plus en plus habituelle et de se normaliser dans le paysage de notre plat pays. 2017, 2018, 2019, 2020, 2022, autant d’années successives qui mettent à rude épreuve nos ressources en eaux. Et s’il n’y avait pas eu cet interlude pluvieux – mais là aussi dramatique – en 2021, il est fort à parier que nos robinets auraient craint le pire aujourd’hui.

Le réchauffement climatique – conséquence maintenant sûre et certaine de l’industrialisation folle et de la course effrénée de l’homme vers un profit toujours plus grand – n’est pas exempt de tout reproche dans la situation que nous – et le reste de l’Europe – vivons actuellement. Les scientifiques l’ont dit, l’ont prouvé, les incidents météorologiques extrêmes vont s’intensifier et s’accentuer. Non pas à l’horizon 2100, mais là maintenant et crescendo dans les prochaines décennies. On ne peut donc ignorer ce constat. L’urgence climatique doit être notre priorité – et dans le nous, il y le citoyen lambda bien sûr mais aussi et surtout tout mouvement, groupement, association, entreprise, parti, gouvernement … qui a le moindre pouvoir de décision à quelle qu’échelle que ce soit. Et c’est là que le bât blesse … Où sont nos autorités dans la crise de la sécheresse qui nous accable actuellement ?

Loin de moi l’idée de dire que rien n’est fait car des mesures sont prises ponctuellement et sectoriellement en réaction à la dégradation de la situation hydrique. Mais la question mérite néanmoins d’être posée, et de deux manières : tout d’abord « est-on vraiment en crise ? » et ensuite « qui est à la manœuvre de la barque dont le fond s’approche dangereusement du lit de la rivière fort peu profonde, il est vrai, par les temps qui courent ? ».

Concernant le premier questionnement, si on suit les médias nationaux et étrangers depuis plusieurs semaines, si on interroge les agriculteurs et les maraîchers, si on observe nos cours d’eau et nos prairies, ou encore si on s’intéresse aux relevés pluviométriques de l’IRM, on ne peut que constater la réalité de la sécheresse. Et même si l’ampleur est plus limitée que chez nos voisins d’outre-Quiévrain, la situation n’en est pas moins inquiétante et le terme de crise approprié.

Canicule ne rime pas avec sécheresse

Cependant, et c’est là qu’intervient notre deuxième interrogation, aucune autorité, hormis quelques communes qui s’inquiètent de l’approvisionnement de leur population en eau potable, ne parle réellement de crise. Il y a bien une prise de conscience relative aux dangers de la chaleur sur la santé publique avec – depuis la terrible vague de chaleur de 2003 – un rappel régulier des bons gestes à adopter. Mais canicule ne rime pas d’office avec sécheresse. Et là où le déficit pluviométrique a des impacts multidisciplinaires sur un territoire large, c’est – au minimum en accompagnement de mesures locales – des réponse globalisées et fortes à un échelon régional ou national qui devraient être prises. L’eau est un bien commun qui ne se soucie guère des frontières administratives et qu’il conviendrait de considérer et de rationaliser à un niveau méta avec une vision à long terme.

Au-delà de la notion de crise, il convient – pour une gestion optimale d’un risque – d’avoir une communication irréprochable et univoque des autorités. Pour ce faire, l’utilisation d’un code couleur « à la française » dont les seuils seraient définis sur base de critères clairs, aisément mesurables ou objectivables et surtout multisectoriels, avec – bien évidemment – des mesures de gestion appropriées pour chaque pan de la société – chacun ayant sa part de responsabilité et une capacité de lutte et de résilience – leur permettrait de tenir un discours cohérent et audible envers la population. Cette dernière pourrait alors s’approprier et mieux conscientiser cette problématique complexe du déficit pluviométrique.

Alors oui, « la pluie arrive mais la sécheresse reste ». Cette phrase – symbolique de la dynamique quelque peu pernicieuse de ce risque naturel – se répétera à l’avenir, c’est une certitude. Prévoir dès maintenant une gestion raisonnée de l’eau et se préparer de manière holistique et coordonnée aux conséquences des sécheresses, c’est anticiper. Et l’anticipation est « la mère de toutes les sagesses ».

Kevin Thibaut, département des Sciences et gestion de l’environnement, ULiège

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