Carte blanche

«La Belgique ne s’estime pas capable de proposer une véritable politique» en matière d’asile et de migration

Madame la Ministre, je lis la presse et je vous découvre satisfaite dans La Libre: «La Belgique n’est plus le maillon faible de l’Europe en matière d’asile et de migration». La lecture de ces mots devrait réjouir: qui a envie que notre pays soit le maillon faible de quoi que ce soit? Mais la découverte des raisons de votre joie afflige immédiatement.

La force, pour vous (NDLR: Anneleen Van Bossuyt (N-VA), ministre de l’Asile et de la Migration), désigne le pouvoir que les forts se donnent pour agir sur les plus faibles. La Belgique, pour vous, montre sa force quand elle se déclare désormais incapable d’accorder un revenu d’intégration à ceux ou celles qui n’ont pas reçu de place d’accueil. Elle affiche sa robustesse quand elle décide que les primo-arrivants devront attendre cinq ans avant d’avoir droit à l’aide social, à charge pour eux de trouver dans l’intervalle un travail stable sans pour autant disposer des papiers nécessaires. Elle montre qu’elle est un maillon solide de l’Europe quand elle permet à ses policiers d’entrer dans nos maisons pour y traquer les sans-papiers qui ont épuisé leurs voies de recours.

Vous ne prenez pas au sérieux les mots que vous prononcez, et vous ne prenez donc pas au sérieux non plus les personnes que ces décisions concernent.

De quelle force parle-ton? La Belgique a été condamnée plus de 12.000 fois par des tribunaux nationaux et internationaux et a été ordonnée de se conformer à ses obligations en matière d’accueil. Bien que ces décisions soient définitives et juridiquement contraignantes, la Belgique ne s’y est jamais pleinement conformée, continuant délibérément de laisser des personnes à la rue, sans toit ni nourriture. L’Arizona ne compte rien faire pour respecter ces décisions de justice, et elle souhaite même réduire encore les places d’accueil disponibles. Ce mépris assumé pour l’Etat de droit et l’administration de la justice n’est pas seulement la marque de notre cynisme. Elle est la conséquence des choix posés pour organiser l’impuissance de l’Etat. 

«La Belgique a été condamnée plus de 12.000 fois par des tribunaux nationaux et internationaux et a été ordonnée de se conformer à ses obligations en matière d’accueil.»

De quelle force parle-t-on encore? Des personnes sont renvoyées dans leur pays d’origine en toute connaissance du fait qu’elles y seront persécutées à leur retour, qu’elles ne recevront pas les traitements médicaux parfois nécessaires à leur survie, qu’elles devront être refoulées vers un pays qu’elles ne connaissent parfois qu’à peine puisqu’elles ont grandi et fait leurs études en Belgique.  Les personnes qui viennent dans notre pays pour y demander l’asile ou un permis de séjour ne désirent pas que la Belgique soit le maillon faible de quoi que ce soit. Elles se disent au contraire qu’elles trouveront un Etat robuste, sûr de ses ressources et de ses richesses. Elles veulent y travailler et pensent que la Belgique les aidera à ces fins. Elles ont parfois fui des régimes arbitraires et autoritaires, et espèrent être traitées de manière respectueuse et équitable. Votre politique d’immigration et celle que la Belgique foule aux pieds l’image que ces personnes veulent avoir de la Belgique

Ces personnes n’ont pas de visage pour une partie des représentants politiques et de la presse: on les appelle donc «l’appel d’air», «le risque migratoire», la «pression sur notre société». Ces mots passent pour rationnels. Ils sont stupides car ils nous rapetissent. Il faut que nous soyons misérables pour que nous nous donnions le droit d’exiger le strict respect des droits humains et les «valeurs des Lumières» aux primo-arrivants tout en nous autorisant à les enfermer dans des prisons de fait, les «centres fermés», juste parce qu’ils ont décidé de  quitter leur pays pour le nôtre; à violer des domiciles pour les retrouver; à refuser d’office leur demande s’ils refusent de donner leurs téléphones et leurs ordinateurs; à faire passer le test de nationalité de 150 euros à 1.000 euros tout en bavassant sur la nécessité d’une intégration réussie; à réduire à leur portion congrue leurs droits de base dans l’objectif avoué de les dégoûter de la Belgique.

«Le gouvernement fédéral choisit la brutalité pour masquer un renoncement moral mais aussi politique.»

Car de quelle force parle-t-on, encore une fois, quand on est donc fier de se rendre détestable? L’immigration n’est pas une affaire simple. C’est l’histoire, infiniment répétée depuis des milliers d’années, dans tous les pays du monde, de la rencontre de personnes et de populations qui ne pensaient pas devoir un jour se côtoyer, qui ne se comprennent pas tout de suite, qui ne savent pas ce que cette rencontre fera à leurs vies quotidiennes. A cette aune, ce n’est pas seulement la dignité d’une société qui s’évalue à la manière dont elle traite les personnes les plus vulnérables qui y habitent –et beaucoup de sans-papiers y habitent depuis des années, voire des dizaines d’années: c’est aussi sa robustesse. Ici, le gouvernement fédéral choisit la brutalité pour masquer un renoncement moral mais aussi politique. La vérité est qu’il ne s’estime pas capable de proposer une véritable politique d’accueil des personnes migrantes. Il estime que ses services publics n’en sont pas aptes. Il estime que notre société est trop fragile, que nos citoyens sont inexorablement égoïstes. Il n’a pas foi en la robustesse de notre pays, de ses travailleurs, de ses habitants, de ses valeurs aussi, et pour cause: il se dessine la figure de l’étranger comme celle du pauvre qui le mérite bien, du chômeur qu’il convient de redresser, du travailleur qu’il faudra activer.

Il existe un mot en latin –le Premier ministre comprendra– pour exprimer la faiblesse, dans son sens physique comme dans sa signification morale: la débilité. Et les décisions du gouvernement sont débiles parce qu’il prend notre pays pour un corps débile également. Sur ce point en tout cas, les mots de Madame Bossuyt ont un sens: qu’on parle de pensions, de travail ou d’immigration, l’Arizona est en effet prête à beaucoup de choses pour débarrasser la société de ce qu’elles estime être ses maillons faibles.

 

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