Le Vif

La Belgique envisage de réduire son budget de la coopération au développement : « Une décision irresponsable »

Une personne sur onze souffre de la faim et le nombre de personnes en situation de famine a doublé entre 2022 et 2023. Or, plusieurs pays européens dont la Belgique décident ou envisagent de couper dans les budgets de la coopération internationale. Une voie irresponsable, dénoncent Amaury Ghijselings (CNCD-11.11.11), Jonas Jaccard (Humundi), Florence Kroff (FIAN-Belgique), Tom Devriendt (Caritas International), Alice Jandrain (Iles de Paix), Amaury Peeters (Louvain Coopération), Elisa Tondeleir (Solidagro), pour Action contre la faim.

La faim et les famines augmentent encore et toujours !

Alors que les Objectifs de développement durable (ODD) ont été lancés en 2015, avec parmi eux l’éradication de la faim d’ici 2030, la faim a sans cesse augmenté entre 2017 et 2023. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique qu’entre 713 et 757 millions de personnes ont souffert de la faim en 2023. Selon le Food Security Information Network (FSIN), le nombre de personnes ayant connu des situations de famine (le niveau le plus élevé d’insécurité alimentaire) a doublé entre 2022 et en 2023 pour atteindre plus de 700.000 personnes. Les territoires concernés par la famine et ayant un besoin urgent d’aide sont le Soudan du Sud, le Burkina Faso, la Somalie, le Mali et Gaza, territoire qui à lui seul rassemble 576.600 personnes en situation de catastrophe en 2023.

Famine comme arme de guerre à Gaza et ailleurs

L’utilisation de la famine comme arme de guerre par Israël est devenue un des instruments clé de son offensive à Gaza. Le blocus, les bombardements massifs des infrastructures civiles et la privation d’eau et d’électricité visent à affamer une population de plus de 2,2 millions de personnes[1]. Selon le dernier rapport du Rapporteur Spécial sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhri, la souveraineté et le système alimentaire de tout un peuple ont été anéantis. En détruisant et empoisonnant des terres agricoles et en empêchant les pêcheurs d’accéder aux ressources maritimes, Israël ne fait pas qu’affamer la population à court terme, elle rend leur survie impossible à long terme. Ces actes criminels auront des conséquences pour les décennies à venir quant à la viabilité du territoire de la bande de Gaza. Selon Michael Fakhri, cela ne constitue pas seulement des violations des droits humains, mais relève de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, voire de génocide[2].

l n’y a pas qu’à Gaza qu’on utilise la famine comme arme de guerre. Les populations du Soudan et du Yémen sont elles aussi victimes des guerres civiles avec des blocus et des destructions d’infrastructures essentielles qui plongent des millions de civils dans une insécurité alimentaire catastrophique. Les conflits prolongés dans ces deux pays sont souvent invisibilisés, victimes d’une aide humanitaire insuffisante et mis à l’arrière-plan par d’autres priorités géopolitiques.

Coupures budgétaires en Belgique et Global Gateway

Davantage de financement pour lutter contre les famines sont nécessaires. En 2021, seulement 47 % des appels à contribution communiqués par l’OCHA (Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires) pour le secteur alimentaire ont été satisfaits. Or, en Belgique, les discussions autour de la note Arizona font craindre une réduction du budget de la coopération au développement. La Belgique voit ses financements stagner depuis 2023, passant de 0,45 % à 0,44 % de son revenu national brut, loin des 0,7% que la Belgique est normalement tenue de consacrer à ce domaine.

Ces réductions de budget, aussi minime soit-elle, seraient donc complètement irresponsables. Mais en plus, elles ne sont pas la seule menace pour la coopération internationale. Un rapport d’Oxfam révèle que les projets de développement européens existants sous l’initiative Global Gateway priorisent les intérêts économiques et géopolitiques de l’Union européenne. Ils favoriseraient surtout des partenariats public-privé dans des secteurs critiques comme l’énergie et les matières premières, au lieu de se concentrer sur les besoins des populations locales[3].

Le coût de l’inaction

Nous rejoignons les conclusions du dernier rapport de la FAO pour alerter sur le coût de l’inaction[1]. L’insécurité alimentaire entraîne des stratégies multiples de survie, comme celles qui consistent à ne pas mettre ses enfants à l’école, ne pas garder suffisamment de semences pour les années suivantes, abandonner ses terres pour des emplois précaires, etc. L’insécurité alimentaire peut avoir un effet boule de neige sur toute l’économie des pays du Sud et rendre les besoins de financements internationaux encore plus importants. L’insécurité alimentaire peut faire apparaître des tensions régionales, notamment pour le contrôle des ressources, mais aussi géopolitiques qui peuvent aller jusqu’à toucher les pays occidentaux.

Dès lors, le budget de la coopération au développement ne doit pas être sacrifié sur la base d’une vision court-termiste qui ne bénéficiera à personne sur le long terme. Nous appelons le futur gouvernement belge à tenir ses engagements en matière de solidarité internationale et de lutte contre la faim : cela commence par augmenter plutôt que diminuer les budgets de la Coopération belge au développement.

En parallèle, compte tenu des liens forts entre crise climatique et crise alimentaire, la Belgique doit plaider pour des engagements ambitieux en matière de financement climatique lors de la prochaine COP 29. Une partie importante de ces financements climat devra directement soutenir les agriculteurs et agricultrices de petite surface, premières victimes des changements climatiques mais aussi porteurs de solutions.

Il ne nous reste plus que cinq ans pour tenir la promesse d’un monde sans faim. Les efforts doivent redoubler, et ce, dans l’intérêt de toutes et tous.  

Le titre est de la rédaction. Titre original : « Tenons nos engagements internationaux face à la faim dans le monde ! »



[1] Human Right Watch, Israel: Starvation Used as Weapon of War in Gaza

[2] Michael Fakhri, Rapport « Famine et droit à l’alimentation, notamment dans le contexte de la souveraineté alimentaire du peuple palestinien », 17 juillet 2024

[3] Oxfam Report,Global Gateway Risks Diverting EU Aid Budget to Big Business, 9 octobre 2024
[4] FAO, The state of food insecurity and nutrition in the world 2024

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