Carte blanche
Il faut sauver la justice sociale (carte blanche)
« La notion de justice sociale doit être une valeur centrale de la société et de la politique. Le dissensus dont elle fait l’objet nuit cependant à sa force comme guide pour la politique. L’instauration d’une convention citoyenne et d’un dialogue entre celle-ci et les assemblées élues est un moyen de résoudre en partie ce dissensus et de renforcer la prise en compte politique de l’idéal de justice », plaide la Commission Justice & Paix.
Ce 20 février, nous célébrons la journée mondiale de la justice sociale. Cette notion compte parmi les valeurs centrales qui doivent guider la politique. Des questions, parmi les plus graves, sont des problèmes de justice sociale. Parmi ces questions, on compte bien sûr l’extrême concentration des richesses et du pouvoir. On compte aussi les diverses formes de précarité, de misère et l’état déplorable des droits d’une part importante de l’humanité, y compris dans nos riches contrées. Les grands problèmes environnementaux sont aussi, dans une très grande mesure, des questions de justice.
La notion de justice sociale est mentionnée explicitement dans plus textes légaux dont le Traité de l’Union européenne. Elle est censée être une valeur phare de la politique. Pourtant, dans les faits, elle semble dans une trop grande mesure, vidée de sa substance. Une raison importante en est qu’elle fait l’objet d’un profond dissensus. Il y a désaccord sur la définition à lui donner, sur la priorité à lui accorder et sur ce que cela veut dire en termes d’orientations politiques et sociétales.
Une délibération citoyenne: pourquoi?
Le défi à relever consiste donc, d’une part, à mettre à plat et à discuter ouvertement les principaux points de dissensus concernant la question de la justice sociale et, d’autre part, à trouver au moins certains points de consensus permettant d’orienter les politiques publiques dans le sens d’une société plus juste.
D’une part, la délibération citoyenne est l’expression de la démocratie revenant à ses principes de base, dont le cœur est l’exercice collectif du pouvoir par les citoyennes et les citoyens. Une situation concrète est d’autant plus démocratique qu’elle se rapproche de cet idéal. D’autre part, cette délibération est sans doute le moyen le plus adéquat, voire le seul, de relever ce double défi. Ni le droit, ni les faits, ni la logique, ni une quelconque autorité morale ou culture commune ne peuvent en effet jouer ce rôle. Le droit indique ce qui est légal, mais pas forcément ce qui est juste. L’analyse des faits, prise isolément, nous permet de faire des constats, mais pas de dire en quoi ces faits sont justes ou pas. Tout raisonnement, même rigoureux et honnête, repose sur des choix qui peuvent être contestés. Enfin, la diversité des identités et des manières de voir est la condition humaine même et un élément central de la vie démocratique.
Il appartient aux diverses assemblées parlementaires de se saisir de cette proposition et de lui donner forme.
Une délibération citoyenne: comment?
Le cœur d’une telle délibération est la convention citoyenne. Il s’agit d’un groupe de citoyennes et de citoyens visant, par sa diversité, à être un reflet assez fidèle de la population dans son ensemble. Cette convention peut être bicamérale, l’une des chambres étant le reflet de la population dans son ensemble et l’autre chambre étant celui des classes populaires. Cette disposition ne doit pas empêcher, toutefois, ces deux chambres de constituer ensuite une assemblée unique.
Les travaux de la convention sont enrichis par le dialogue avec cinq conseils ad hoc. Ces conseils sont organisés de manière à garantir en leur sein le pluralisme, l’ouverture d’esprit, la liberté d’expression et l’interdisciplinarité. Ils font état, de manière claire, des points de consensus éventuel entre leurs membres, des divergences de vues, des incertitudes et autres éléments potentiellement utiles aux travaux de la convention citoyenne.
Les deux premiers conseils ad hoc apportent respectivement une expertise juridique et une expertise académique au sens large du terme. L’expertise juridique porte sur le droit, la jurisprudence et la doctrine tels qu’existant actuellement, mais aussi sur tout élément plus prospectif de la recherche juridique qui pourrait présenter une certaine pertinence pour les travaux de la convention. L’expertise académique porte sur l’ensemble de toutes les autres disciplines académiques. Les trois autres conseils ad hoc comprennent respectivement des élus, des organisations de la société civile et des fonctionnaires venant des diverses administrations publiques.
La convention établit son règlement et son mode de fonctionnement. Pour ce faire, elle commence par explorer, grâce à des apports externes, les questions de délibération, de discussion démocratique et de construction collective de savoirs. Elle se base notamment sur l’analyse d’expériences similaires.
Le point de départ des travaux de la convention est une définition aussi vaste que possible de la justice sociale. Toute notion de la justice concerne la répartition, entre des êtres et dans un monde, de facteurs qui les affectent ou peuvent les affecter en bien ou en mal et qui, au moins en partie, font ou peuvent faire l’objet de mesures politiques. Une notion de la justice est d’autant plus large qu’elle considère un monde étendu, prend en compte un éventail large de ces facteurs et concerne une grande diversité d’êtres.
L’éventail de ces facteurs dépasse largement la question des ressources matérielle ou exprimables en termes monétaires. Une notion de la justice, pour être véritablement utile et pour ne pas induire des politiques erronées, doit donc viser à appréhender l’ensemble de ces facteurs. Ces derniers peuvent aussi être considérés comme les ressources d’une notion large de l’abondance, situation où les ressources sont au moins égales aux besoins.
Cette notion de la justice doit de même inclure un éventail aussi large que possible d’êtres. Ces derniers peuvent être des humains dans toutes leurs formes de diversité, mais aussi d’autres êtres vivants, des êtres non vivants, des écosystèmes pris dans leur globalité, etc. L’inclusion permet d’éviter de considérer que certains êtres sont dignes de considération tandis que d’autres peuvent être négligés, détruits, exploités, brimés, etc. Elle permet aussi d’éviter de commettre l’imprudence qui consiste à ne pas prendre en compte les interdépendances, souvent mal connues, voire non connaissables.
Enfin, discuter la question de la justice ne peut se faire sans discuter ses rapports à l’égalité. Ceci implique de considérer les diverses formes d’inégalités, d’examiner leurs conséquences et de déterminer en quoi elles sont compatibles ou non avec les droits humains, la démocratie, la recherche du bonheur pour tout le monde et autres choses désirables.
La convention met en place des moments réguliers de consultation du public ainsi qu’une politique et des moyens d’informer ce dernier. Elle bénéficie pour ce faire d’un soutien actif des autorités.
Les travaux de la convention servent de base à un dialogue approfondi entre cette dernière et les assemblées parlementaires. Ce dialogue mène à des décisions politiques contraignantes visant à orienter les politiques publiques et les manières de faire la politique dans le sens de la justice sociale.
Mikaël Franssens, Chargé de plaidoyer au sein de la Commission Justice & Paix.
Titre de la rédaction. Titre original: « La justice sociale par la démocratie ».
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