Carte blanche
Il faut plus de transparence dans les relations entre le monde politique et l’industrie du tabac
Lorsque les lobbyistes des multinationales du tabac rencontrent les hommes politiques, cela porte atteinte non seulement à la santé publique mais aussi à la démocratie. Le président du CD&V fait un premier pas timide vers la transparence… mais il faut aller plus loin.
Nous saluons le premier pas du président du CD&V, Sammy Mahdi, pour mettre fin aux politiques de couloirs. En effet, il inscrira désormais les lobbyistes qui viennent présenter leur mémorandum électoral sur une liste accessible au public. Il n’est pas prévu que les discussions de fond soient rendues publiques, car l’élaboration permanente de procès-verbaux officiels représenterait une charge de travail considérable. Toutefois, la Fondation contre le Cancer demande une exception : tous les contacts et discussions avec les fabricants de tabac devraient être rendus publics. La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), ratifiée par la Belgique, l’impose dans son article 5.3. Nous devons donc nous y conformer. Plus encore, notre pays devrait l’appliquer non seulement au personnel des administrations mais aussi aux décideurs politiques (cabinets, députés et services d’études des partis).
Chers responsables politiques, si vous souhaitez instaurer une nouvelle culture politique, nous pouvons peut-être compter sur vous pour y travailler. Vous pouvez d’ores et déjà vous inspirer des recommandations du Médiateur européen concernant les interactions au niveau de l’UE avec les lobbyistes du tabac ou de l’approche aux Pays-Bas.
En adhérant à la convention-cadre de l’OMS, la Belgique s’est engagée à mener une politique plus stricte en matière de tabac et à fermer la porte aux lobbyistes du tabac. Toutefois, sur ces deux points, les choses n’avancent pas assez vite.
Pourquoi une politique plus stricte en matière de tabac est-elle nécessaire ?
En 2004, année de lancement de la CCLAT, notre pays comptait encore environ 24 % de fumeurs quotidiens. Grâce à de nombreuses mesures politiques, ce chiffre a considérablement diminué au cours des 20 dernières années, pour atteindre 13 % selon les dernières données de février 2023. Mais l’objectif d’une génération sans tabac d’ici 2040, ambitionnée tant par l’UE que par la Belgique, ne sera pas atteint si nous ne mettons pas en œuvre de manière cohérente toutes les mesures de la CCLAT. Il est donc urgent d’accélérer la mise en œuvre, comme le montrent les analyses de tendances rendues publiques par Sciensano la semaine dernière.
Un certain nombre de mesures supplémentaires sont prévues dans le plan anti-tabac de décembre 2022. Par exemple, il est très urgent d’interdire l’exposition des produits du tabac dans les points de vente. Le calendrier prévu dans le plan, à savoir fin 2025, devrait être avancé à fin 2023 pour la Fondation contre le Cancer. En effet, pourquoi attendre la fin de l’année 2025 et risquer entre-temps une nouvelle épidémie de dépendance à la nicotine chez les jeunes ?
Pourquoi fermer les portes aux lobbyistes de l’industrie du tabac ?
Les grands cigarettiers se présentent sans scrupules comme des résolveurs de problèmes : un bel exemple d’écoblanchiment ! Avec leurs produits non combustibles et non médicamenteux à base de nicotine, tels que le tabac chauffé, les e-cigarettes ou les sachets de nicotine, ils prétendent sauver le monde du problème … dont ils sont à l’origine ! « Si les politiques sont prêts à nous laisser une marge de manœuvre suffisante (comprenez des « règles flexibles » avec moins d’interférences et d’interdictions), alors le problème du tabagisme sera résolu ».
Comme les fabricants de tabac commencent à innover dans leurs offres, le principe de précaution – selon eux – pourrait être abandonné. En tant que Fondation contre le Cancer, nous sommes très attachés au principe de précaution pour les jeunes non-fumeurs ! Un article récent paru dans l’International Journal of Health Policy and Management met à mal la stratégie des multinationales du tabac et met le doigt sur la plaie : le pouvoir disproportionné des grandes industries malsaines dans l’espaces politique et les conflits d’intérêts qui en résultent sapent la démocratie et sont donc inacceptables. Écouter les producteurs de tabac n’est pas un exemple de démocratie participative. Au contraire, c’est une menace pour la santé publique et pour la démocratie elle-même.
Une carte blanche de Suzanne Gabriels, experte en prévention du tabagisme, Fondation contre le Cancer.
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