Nicolas de Pape

Guerre du gaz : comment Poutine se joue des sanctions (carte blanche)

Nicolas de Pape Senior writer au Journal du médecin

On allait voir ce qu’on allait voir. On allait « asphyxier la Russie » avec nos sanctions économiques (Bruno Le Maire). « On irait jusqu’au bout » (Charles Michel). « La Russie ne peut pas gagner » (Emmanuel Macron). Mais le maître du Kremlin semble imperturbable.

L’anticipation n’est pas le fort de nos élites européennes. Comme le taureau devant la muleta, ils foncent sans réfléchir… Depuis le début de la brutale et illégale invasion de l’Ukraine par l’armée russe, il était pourtant évident que les sanctions économiques n’affaibliraient pas que la Russie. Qu’il y aurait un effet boomerang. S’attaquer à la Russie qui fournissait au début de l’année 50% du gaz en Europe (et 100% pour certains pays comme la Bulgarie) relève d’une forme de suicide économique. Sachant que la première puissance industrielle de l’Europe, l’Allemagne, s’est littéralement vassalisée au gaz russe sous l’égide de Gerard Schroeder (sociétaire de Gazprom) et Angela Merkel qui sous la pression des Verts allemands, après la catastrophe de Fukushima, s’est lancée dans une délétère « EnergieWende » visant à abandonner le nucléaire pour du renouvelable intermittent assisté par des centrales au gaz russe…

Qui plus est, cette guerre économique a brisé le fragile équilibre des marchés des matières premières, affolés par le spectre des pénuries d’énergie sur le Vieux Continent et s’adonnant littéralement à la spéculation.

Bien que peu dépendante du gaz russe (notre fournisseur est essentiellement la Norvège), la Belgique subit l’explosion du prix du gaz, ce lundi en augmentation de 30% suite à la fermeture de Nordstream 1, à 268 euros le mégawattheure sur le marché à terme néerlandais. Une situation intenable en Belgique comme en Europe pour les entreprises très consommatrices d’énergie comme le détaille dans Le Vif le journaliste Ewald Pironet. Une partie d’entre elles jouent leur survie. Et après avoir aidé entrepreneurs et professions libérales pendant la crise covid-19 avec de la dette publique, nos pays ne peuvent se risquer à poursuivre ce « quoi qu’il en coûte », d’autant que la Banque centrale européenne ne fera plus tourner la planche à billets au risque de renforcer le mur d’inflation, lui aussi aggravé par la guerre en Ukraine. Cercle vicieux.

Au lieu d’appauvrir la Russie, nous avons permis, avec l’explosion du prix du gaz, que Gazprom engrange dans la première moitié de 2022, 41,6 milliards d’euros de recette et 20 milliards de dividendes

Une course-poursuite se déroule sous nos yeux entre Vladimir Poutine, qui a l’avantage de tout décider seul, cherchant de nouveaux débouchés pour son gaz (Chine, Inde, etc.) et l’Union européenne, dont le centre décisionnel dépend de 27 Etats-membres, qui cherche elle à diversifier au plus vite ses fournisseurs. Avantage à Poutine pour le moment qui a fermé Nordstream I et a cessé totalement ses livraisons à ENGIE France, comme il l’avait fait déjà pour la Pologne et la Bulgarie. C’est la guerre du gaz.

Au lieu d’appauvrir la Russie, nous avons permis, avec l’explosion du prix du gaz, que Gazprom engrange dans la première moitié de 2022, 41,6 milliards d’euros de recettes et 20 milliards de dividendes, essentiellement pour l’Etat russe, principal actionnaire de la compagnie gazière.

Et s’il n’y avait que le gaz… Selon François Lenglet (RTL France), la Russie est « littéralement noyée sous le cash depuis l’invasion de l’Ukraine ». « A la fin juillet, elle a engrangé 97 milliards de dollars de recettes d’hydrocarbures principalement du pétrole, soit, selon le Wall Street Journal, 40% de plus qu’avant-guerre. » Ce que Poutine perd en volume, il le rattrape sur les prix, dopés par la guerre et les sanctions.  

« Les sanctions que nous payons cher à cause de l’inflation n’ont servi qu’à remplir les coffres de Poutine », précise le journaliste économique d’RTL. Selon le CREA (Center of Research on Energy), depuis le 24 février 2020, date de l’invasion, l’Europe a versé 86 milliards d’euros à la Russie, finançant indirectement sa guerre contre l’Ukraine.

Sans compter les autres clients qui n’adhèrent pas à l’embargo sur le pétrole russe : Inde (un million de barils par jour), Chine, Turquie et… Arabie saoudite qui le revend au prix fort, contournant l’embargo. Autosuffisante grâce aux hydrocarbures de schiste, l’Amérique de Biden ferme les yeux sur notre triste sort…

On peut tirer trois types d’enseignements de cette crise énergétique sans précédent depuis 1973 :-

  • Au niveau politique, les sanctions économiques sont rarement efficaces (pensons à Cuba, l’Iran ou l’Irak), encore moins contre un ennemi aussi puissant à tous égards que la Russie. Et les embargos sont faits pour être détournés.
  • Au niveau sociétal, les citoyens belges qui entreront en précarité énergétique vont découvrir que ce besoin primaire (se chauffer) n’est pas un acquis.
  • Au niveau énergétique, l’Europe a toujours, à moyen terme, un besoin criant d’hydrocarbures malgré ses généreux objectifs de décarbonisation. L’énergie nucléaire n’est pas « une chimère du passé » (Georges Gilkinet) mais une énergie d’avenir qui peut nous aider grandement à atteindre nos objectifs climatiques. Les énergies renouvelables étant, en majorité, intermittentes, elles ne peuvent servir de socle énergétique mais seulement d’apport dans un mix dans lequel les hydrocarbures règnent encore en maîtres.

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