Carte blanche
Expulsions : et si on échangeait nos paradigmes?
Un paradigme est une vision, une représentation du monde. Le lundi 30 janvier, Divine N’sunda, a été arrêtée et emmenée au centre fermé pour migrantes d’Holsbeek le lendemain. C’est votre paradigme, votre vision à l’Office des Etrangers. Nous, nous sommes des citoyen.ne.s, des enseignant.e.s, des parents, des élèves, des voisine.e.s qui se sont mobilisés pour Divine. Nous avons voulu comprendre, nous avons cherché. Et pourtant, nous ne comprenons toujours pas pourquoi Divine est enfermée.
Nous ne sommes pas des expert.e.s de la politique migratoire. Nous sommes des citoyen.ne.s ouverts sur le monde et sa complexité. Nous avons chacun notre paradigme et nous aimons comprendre toutes les visions. Nous sommes aussi persuadés qu’il est essentiel d’apporter des nuances au débat politique, pour favoriser le « vivre ensemble », valeur fondamentale de la Petite Ecole de Gentinnes, l’établissement scolaire où Divine travaille depuis des années. Les premiers jours, nos émotions ont navigué entre colère, tristesse et peur. Non, ce n’est pas « juste » une jeune femme congolaise de 35 ans qui nous a été retirée. C’est une amie, une collègue, une voisine, une accueillante extrascolaire…
Aujourd’hui, nous ne comprenons toujours pas. Pourquoi Divine est-elle enfermée ? Aujourd’hui, nous ne comprenons toujours pas et nous voulons comprendre pourquoi !
Emmenée en centre fermé le 31 janvier, et privée de sortie depuis le 6 février, Divine s’est vu refuser sa demande de régularisation sur base de l’article 9bis. Divine est aujourd’hui menacée d’expulsion. Voilà ce que nous savons, voilà le point de départ de nos réflexions.
Divine N’Sunda a fait une demande de régularisation sur base de l’article 9bis de la loi du 15/12/1980. Alors pour comprendre sa situation, nous avons fait comme tout le monde, nous avons cherché. En commençant par le site de l’Office des Etrangers. On y trouve les informations concernant l’article 9bis, qui permet à une personne, dans certaines circonstances, d’introduire sa demande de régularisation en Belgique lorsqu’elle s’y trouve déjà.
« L’Office des Etrangers apprécie les circonstances exceptionnelles au cas par cas et dans leur ensemble. Une évaluation est faite sur base des éléments positifs et négatifs ». C’est donc par cet article de la loi de 1980 sur les étrangers, que Divine, et beaucoup d’autres, souhaitent faire valoir une « faveur » en démontrant que des « circonstances exceptionnelles » l’obligent à demander un titre de séjour depuis la Belgique et que des « éléments positifs » peuvent attester de son intégration.
Si une personne comme Divine, parfaitement intégrée socialement et professionnellement, se voit refuser sa demande de régularisation… alors on est en droit de se demander sur quels critères l’Office des Etrangers se base pour rendre ses décisions.
En effet, Divine coche la plupart des « éléments positifs » mentionnés sur le site de l’Office des Etrangers. Elle parle français, réside en Belgique depuis plus de 10 ans, a suivi une formation professionnalisante, s’investit bénévolement dans le secteur associatif de sa commune, a obtenu un contrat de travail à durée indéterminée. Toujours avec notre regard de citoyen.ne.s, et non d’expert.e.s, nous comprenons donc que si la régularisation 9bis était objectivée autour des critères d’intégration socio-économique, Divine ne devrait pas être enfermée depuis deux semaines derrière des grillages.
Des critères flous pour une évaluation laissée à discrétion
Ce que nous avons lu, nous l’avons tous raccroché au quotidien de Divine, et au fonctionnement de l’école dans laquelle elle travaille. Dans l’enseignement, une évaluation doit être construite sur des critères clairs et connus des apprenants. Apparemment, pas dans la politique de régularisation.
Pour nous, il existe un flou sur ces « éléments positifs et négatifs » qui favoriseraient une décision positive sur base de la compétence discrétionnaire de la Secrétaire d’État, et de son administration, l’Office des Etrangers.
Pour nous, l’intégration se mesure aux sourires des enfants, à l’implication de Divine dans l’école, à la joie qu’elle diffuse autour des communautés où elle s’investit. Pour nous, l’intégration ne se mesure pas par une grille d’analyse dont les critères positifs et négatifs sont à la discrétion de quelques-uns, dans les bureaux de l’Office des Etrangers.
Pour nous, Divine EST l’élément positif. Elle a construit sa vie avec nous, comme nous avons construit notre projet éducatif avec elle. Elle est l’élément positif qui nous nourrit de sa bienveillance. Elle est l’élément positif qui nourrit la Petite Ecole et ses élèves et qui leur apprend à devenir à leur tour un élément positif pour notre société.
Pour nous, Divine est à l’image de milliers de personnes sans titre de séjour, qui sont bien plus que des « personnes intégrées ». Elles construisent avec nous notre « demain », une société meilleure placée sous le signe du vivre ensemble.
Nous ne sommes pas des expert.e.s de la politique migratoire, nous sommes des enseignant.es, des parents d’élèves, des voisin.es, des ami.e.s de Divine. Nous sommes des citoyen.ne.s ouverts sur le monde et sa complexité. Et pour comprendre, nous avons fait comme tout le monde, nous avons cherché. Mais malgré toutes nos investigations, nous ne comprenons toujours pas l’enfermement et la menace d’expulsion de Divine. Malgré toutes nos investigations, nous ne comprenons pas. Alors échangeons nos paradigmes. Echangeons nos visions et nos critères du vivre ensemble pour qu’à votre tour, vous nous compreniez : Divine est notre circonstance exceptionnelle. Divine est notre élément positif.
Pour le personnel et le conseil d’administration de la Petite Ecole de Gentinnes,
Anne-Catherine Bertrand, Enseignante – Bégonia Camacho, Enseignante – Brigitte Capouet, Secrétaire – Arnaud-Pierre Clare, Enseignant – Marlène Collinge, Puéricultrice – Dimitri Crickillon, Directeur – Yves Davreux, Administrateur – Clarine De Leener, Enseignante – Séverine DeFalco, Accueillante extra-scolaire – Joëlle Degembre, Enseignante – Manon Demeuse, Enseignante – Annick Eloy, Enseignante – Anne-Françoise Fadeur, Enseignante – Mélanie Gillis, Enseignante – Philippe Henry, Administrateur – Aurélie Julien, Enseignante – Nathalie Lecarte, Enseignante – Vinciane Lupant, Coordinatrice de l’accueil extra-scolaire – Alix Meuron, Enseignante – Sabine Mirguet, Enseignante – Joffray Poulain, Enseignant – Géraldine Reintjens, Administratrice – Charlotte Surray, Enseignante – Valérie Thacker, Enseignante – Isabelle Wouters, Administratrice – Nathalie Yague-Sanz, Enseignante
Avec le soutien de :
Christine Brison, Echevine en charge de l’accueil extrascolaire, Chastre – Hélène Cambier, Conservatrice du Patrimoine, Namur – Thierry Champagne, Bourgmestre, Chastre – Annick Cognaux, Experte de l’accueil temps libre – Jean-Pierre et Luc Dardenne, Réalisateurs – Andrée et Raymond, Debontridder Frising – Bernard Devos, Délégué général aux droits de l’enfant – Eric, Dubois, , CGSLB – Accueil de l’enfant – Marie-Hélène, Gillain, Actrice – Bernard Hubien, Secrétaire général, UFAPEC – Georges Lauwerijs, Chef de Rédaction, La Première – RTBF – Laurence Marchal, Pédagogue – Brigitte
Mélis, Responsable du Service des solidarités, Eglise catholique en Brabant wallon – Etienne Michel, Directeur général, SeGEC – Sylvianne Monballin, La Ruche Gembloux – Terre d’Avenir – Sotieta Ngo, Directrice, CIRE – Stéphanie Paermentier, Secrétaire nationale, CNE Non Marchand – Jean Pauluis, Médecin – Matthieu Peltier, Professeur d’éthique et de philosophie & chroniqueur, EPHEC / RTBF – Gabriel Ringlet, Prêtre, écrivain, journaliste et universitaire – Julie-Anaïs Rose, Directrice , Centre culturel de Waterloo – Hélène Ryckmans, Présidente du Conseil Communal, Chastre – Myriam Scholtès, Médecin psychothérapeute spécialisée pour migrants, Fedasil et Croix-Rouge – Didier Swysen, Enseignant – Edgar Szoc, Président, Ligue des Droits Humains – Freddy Tougaux, Humoriste – Cécile Van Honsté, Directrice, FILE
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