Carte blanche
Évasion fiscale : un scandale belge (carte blanche)
Un an après les Pandora Papers, le gouvernement n’a toujours pas fait de la lutte contre évasion fiscale une priorité, regrettent les députés Philippe Lamberts et Cécile Cornet. Une piste pour boucler le prochain budget ?
Un an après l’enquête mondiale des « Pandora Papers », des sommes vertigineuses fuitent encore et toujours vers les paradis fiscaux. L’année dernière, les sociétés belges ont effectué des paiements vers les pays-refuges identifiés par la Belgique pour un total de 383 milliards d’euros, soit l’équivalent de 75% de la richesse annuelle totale produite en Belgique. Et tandis que ces versements augmentent année après année, ni la législation en vigueur ni les contrôles opérés par l’administration fiscale ne sont à la hauteur pour lutter efficacement contre les stratégies d’évitement de l’impôt, comme l’a récemment révélé la Cour des comptes.
Alors que le gouvernement Vivaldi, en plein conclave budgétaire, doit s’entendre pour aider ménages et entreprises à faire face à la crise énergétique et à l’inflation record, l’inaction sur ce dossier fiscal serait synonyme d’indécence. Une politique structurelle ambitieuse de lutte contre les paradis fiscaux doit faire partie des négociations gouvernementales. Au-delà même de l’évident besoin d’équité, c’est une question de moyens. Et ils sont indispensables pour aider les concitoyens en ces temps de crise.
Un constat accablant
Depuis 2010, les sociétés belges ont l’obligation de déclarer tout paiement de plus de 100.000 euros effectué vers des paradis fiscaux. Or, l’audit de la Cour des comptes dresse un constat accablant concernant cette mesure : les paiements non-déclarés passent en effet régulièrement sous les radars de l’administration fiscale ! L’absence de législation et de réglementation claires et cohérentes, l’existence de contrôles fiscaux improductifs, le nombre insuffisant de formations, ou encore le manque d’accès à l’information sont autant de raisons invoquées par la Cour pour expliquer ce fiasco.
De plus, 11 pays sur la liste belge des paradis fiscaux bénéficient désormais d’un traitement d’exception en raison d’une convention établie avec la Belgique en vue d’éviter la double imposition. Résultat : l’administration belge n’a plus le droit de s’attaquer à l’avantage fiscal lié aux des paiements effectués, par exemple, vers les Émirats Arabes Unis, pourtant considérés comme un paradis fiscal notoire . Cela est d’autant plus choquant que ce pays, après avoir fait les gros titres des « Dubaï Papers » pour l’évasion fiscale des individus, est aujourd’hui le premier pays destinataire des versements de sociétés belges et un pays refuge pour les oligarques russes…
À cela s’ajoutent d’autres questions encore concernant notamment l’opportunité d’un seuil fixé à 100.000 euros, de quoi ces versements sont-ils la contrepartie, ou encore pourquoi l’obligation déclarative ne s’applique-t-elle pas aux particuliers… Bref, le tuyau est percé à de multiples endroits, on ne sait plus où donner de la tête et les rustines ne suffisent plus.
Une liste unique
Il est donc impératif de s’attaquer avant toute chose au cœur du problème, à savoir l’absence même de définition uniforme et objective du concept de paradis fiscal dans le droit belge. L’administration oscille ainsi entre les listes belge, européenne et de l’OCDE basées sur des critères différents selon les cas de figure, plutôt que d’avoir une perspective globale qui tienne le cap dans la durée : dans un paradis fiscal, l’imposition est faible voire nulle, la gestion d’entreprise est opaque et l’échange d’informations avec d’autres pays y est anecdotique. Chaque exercice d’imposition doit ainsi avoir une liste univoque et contraignante. Cette dernière doit pouvoir s’appliquer aux individus comme aux sociétés.
Il faut revoir de fond en comble la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne pour y faire figurer l’ensemble des juridictions où oligarques, millionnaires et grandes entreprises planquent leurs fonds
Cette approche doit être défendue de manière similaire à l’échelon européen afin de sortir des petits ajustements politiques de coin de table. Il faut revoir de fond en comble la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne pour y faire figurer l’ensemble des juridictions où oligarques, millionnaires et grandes entreprises planquent leurs fonds.
Arrêter la fuite
Identifier la brèche n’est qu’une première étape. Encore faut-il ensuite mettre les moyens nécessaires pour arrêter l’hémorragie.
Cela implique qu’au-delà de la révision du cadre légal, l’administration dispose de l’arsenal et des moyens financiers nécessaires pour faire la chasse aux paiements non-déclarés qui sont captés par les paradis fiscaux et éviter les contournements grâce à des structures intermédiaires. Il s’agit donc aussi de faire évoluer la législation belge comme européenne afin de casser le business des sociétés-écrans permettant les constructions artificielles et les transferts illicites.
La Belgique doit également mettre fin unilatéralement aux conventions établies avec les paradis fiscaux, en particulier celle qui concerne les Emirats Arabes Unis, au risque que l’ignorance fallacieuse ne se transforme en servitude volontaire.
Par ailleurs, la révision en cours du paquet législatif anti-blanchiment de l’UE offre l’opportunité de se doter de règles fortes pour lutter contre la criminalité financière. La Belgique a un rôle important à jouer dans ce domaine pour renverser, avec les États membres volontaristes, la tendance actuelle au Conseil européen visant à affaiblir le texte.
Enfin, il est grand temps que la Belgique retrouve son leadership européen en mettant en œuvre l’accord obtenu à l’OCDE pour introduire un taux minimum de taxation des multinationales. Elle pourra ainsi dégager de nouvelles recettes fiscales dès 2023 et inciter ses partenaires européens à progresser dans la même direction, via une procédure de coopération renforcée.
Le scandale doit prendre fin
Nous, écologistes, refusons de rester spectateurs d’un système de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale qui, scandale après scandale, prend l’eau de toutes parts. Le manque d’ambition actuel est évident, mais n’est pas une fatalité. Nous exigeons des actions fortes d’urgence.
À l’heure où l’on négocie les contributions exceptionnelles de ceux qui se font de l’argent sur le dos la crise, les citoyens ne comprendraient pas qu’une résolution similaire visant plus de justice fiscale ne fasse pas partie des engagements de ce gouvernement.
Philippe Lamberts, co-président du groupe des Verts/EFA au Parlement européen et Cécile Cornet, députée Ecolo à la Chambre des Représentants
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