Bernard De Commer
Enseignement: l’approche par compétences, un modèle à suivre ?
Le pacte pour un enseignement d’excellence prévoit de développer l’approche par compétences. Pour Bernard De Commer, ancien permanent syndical, c’est une bonne chose, même si cette méthode comporte aussi certains revers.
L’approche par compétences, dont on parle beaucoup depuis quelques années en pédagogie et donc dans les écoles, date en réalité du début du 20ème siècle.
On la doit en fait indirectement au philosophe et pédagogue américain John Dewey qui va se trouver en conflit avec la pédagogie de l’époque – et sans doute encore bien actuelle- basée sur les « programmes ». Lorsque l’enfant arrive à l’école, affirme Dewey, il n’arrive pas avec « une ardoise vierge », mais il est déjà « intensément actif » et apporte avec lui « quatre impulsions innées » (en termes actuels : des compétences) celles de « communiquer, de construire, de chercher à savoir et d’affiner son expression ». Des compétences que l’enfant a en lui et qu’il importera au système éducatif d’identifier et de développer.
Mais pour pouvoir enseigner de cette façon, pour Dewey, le maître doit être un professionnel hautement qualifié, maîtrisant parfaitement les matières qu’il enseigne, formé à la psychologie de l’enfance et rompu au maniement de toutes les techniques permettant de stimuler suffisamment l’enfant. L’enseignant doit être capable de voir le monde à la fois dans les yeux de l’enfant et dans ceux de l’adulte qu’il est.
La réforme de la formation initiale des enseignants et la philosophie globale de Pacte pour un Enseignement d’excellence me paraissent aller dans ce sens-là.
Ainsi, la Ministre de l’Enseignement Schyns, le 2 mai 2017, au cours d’une conférence, résumait-elle la philosophie du Pacte en ces termes : « Ne pas séparer les enfants, mais valoriser leurs talents et respecter leur rythme d’apprentissage », ainsi que « rééquilibrer la place des savoirs par rapport à celle des compétences ». C’est-à-dire ne pas les opposer : les compétences mobilisent les savoirs – tous les savoirs, y compris les savoirs-être- en vue de réaliser quelque chose.
Mais cette approche pédagogique a aussi ses opposants. Parmi lesquels, par exemple, Nico Hirtt, que j’ai pu fréquenter dans les sphères syndicales entre autres lors des grandes grèves dans l’enseignement (90 et 96). Ce dernier analyse cette pédagogie au-travers d’une lecture socio-politique, la qualifiant de « mystification pédagogique » (La revue pédagogique n°39, septembre 2009). Ainsi écrit-il , « Dès que l’on gratte un peu le discours romantique de certains pédagogues, l’approche par compétences se dévoile pour ce qu’elle est : une conception de l’éducation entièrement vouée à faire de l’école un instrument docile au service de la rentabilité économique et du profit.
Une approche pédagogique tout profit pour l‘élève
Mon propos ne sera pas d’arbitrer entre ces deux camps de pensée, mais de présenter en quoi, me semble-t-il, cette approche par compétence peut être profitable à l’enfant sans pour autant perdre de vue que, oui, cet enfant est un futur travailleur et que la société, une société productiviste, est donc concernée au premier chef par les résultats de cette approche. Donc ne soyons pas dupes. Comme l’écrivaient Vincent Dupriez et Jacques Cornet en 2005 déjà : « Les pratiques pédagogiques sont des constructions sociales contextualisées » (1).
Cependant , il me semble excessif de jeter l’opprobre sur cet outil pédagogique. Tentons tout d’abord de cerner ce qu’est une compétence.
Le décret Mission (24 juillet 1997) en son article 5 en donne la définition suivante : « Aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ». Le décret du 3 mai 2019 ( Décret portant les livres 1er et 2 du Code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire, et mettant en place le tronc commun ) reprend cette définition intégralement.
L’idée centrale de l’approche par compétences se fonde sur l’idée que les apprenants peuvent être évalués sur la base de ce qu’ils font et savent, et pas seulement sur ce qu’ils savent ou font mal.
En soi, c’est déjà une révolution : elle ne vise pas à l’élitisme mais à mettre en relief ce que Dewey appelait les « impulsions innées » et à les intégrer dans un processus de travail en classe. L’apprentissage par projet est un excellent moyen d’y parvenir, sans en être évidemment le seul. Il faut viser à ce que les apprentissages aient un sens pour l’enfant à qui l’on offre des possibilités d’expérimentation, d’exploration, de découverte, mais aussi l’encourager à la collaboration avec ses condisciples et faire le lien entre les diverses disciplines. Mais il importe, avec ce type d’apprentissage, d’éviter l’artificialité des situations proposées.
Un exemple, vécu il y a quelques années. J’avais une classe d’enseignement spécialisé pour troublés instrumentaux (type 8), des enfants de 11/12 ans. Des enfants souffrant de troubles de l’apprentissage qui se traduisent par des difficultés dans le développement du langage ou de la parole, dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture ou du calcul, sans qu’il y ait retard mental ou déficit majeur sur le plan physique, comportemental ou sensoriel. Lors d’un séjour en classes vertes, début septembre, il nous avait été donné d’observer le passage d’une montgolfière. Dans les heures qui ont suivi, il fut répondu aux questions posées par les enfants : pourquoi ça vole ? etc. Et puis, l’un d’eux, tout à coup, lance l’idée suivante : et si nous en fabriquions une petite ?
Une situation idéale : la demande vient des apprenants. Dans les semaines qui suivirent, une intense recherche eut lieu en classe, faisant appel à des notions de physique, de techniques de découpage et collage, des notions de formes géométriques, etc. Et je n’étais pas seul avec les élèves : la kiné nous a accompagnés tout au long de l’activité. C’est d’ailleurs elle qui avait déniché un plan de fabrication d’une telle montgolfière. Un plan qu’il a fallu décrypter et ce n’était pas gagné d’avance.
Deux adultes devant une classe avec des compétences complémentaires et sur un projet commun : un souhait du Pacte dans le cadre des périodes de remédiation. A souligner que, déjà en 2005, avec le Contrat pour l’école, on parlait de cette remédiation. Dans la priorité « Conduire chaque jeune à la maîtrise des compétences de base » on peut lire, en effet ceci : « Ces mécanismes (de remédiation) consisteront prioritairement dans la mise en œuvre de stratégie de remédiation immédiate au sein du cours normal dès qu’une difficulté se fait sentir ».
L’envol de notre montgolfière (très bref : deux ou trois mètres) eut lieu lors de la fête scolaire, en présence de toute l’école et des parents.
Outre la satisfaction personnelle d’avoir pu mener avec mes élèves ce projet, cela m’a permis de constater que ces enfants, issus le plus souvent de milieux socioculturels fragilisés, avaient en eux des compétences, qu’il m’appartenait d’identifier et de développer et de relier aux savoirs
En guise de conclusion toute provisoire
Et donc pour conclure, l’approche par compétences a au moins les avantages suivants :
- pour les enseignants : améliorer la cohérence et la progression des apprentissages au cœur même des référentiels ; une réelle satisfaction personnelle de voir l’élève progresser au fil d’actions concrètes
- pour les élèves : donner du sens aux activités d’apprentissage
Elle n’est donc pas vraiment un paradigme parmi d’autres, sans être pour autant, la recette miracle au motif qu’il n’y en a pas.
Mais toute médaille a son revers. Comme le signalait Vincent Carette, professeur à l’ULB, l’approche par compétence peut être trop formatée, artificielle et les mises en situation pour mobiliser les savoirs rarement présentes dans le monde réel. C’est l’écueil à éviter et ce n’est pas aisé.
Et donc, une fois de plus, comme dans toute approche pédagogique, tout est dans la mesure et dans la mise en perspective des avantages et des inconvénients des choix opérables. Comme le recommande le Conseil de l’Education et de la Formation dans son avis 131, l’enseignant doit « s’approprier les contenus, concepts, notions, démarches, méthodes, ainsi que l’épistémologie de chaque champ disciplinaire et psychopédagogique » et donc faire preuve d’éclairage dans ses choix.
La formation initiale ( 4 ans au lieu de 3 actuellement) et en cours de carrière devraient pouvoir l’y aider dans la mesure où l’on nous promet qu’elles seront effectives en 2023 et en lien avec le Pacte. L’approche par compétences y sera immanquablement abordée.
Reste à voir si les moyens humains et financiers seront mis à disposition pour passer des bonnes intentions à la concrétisation. A entendre les discours des autorités lors des fêtes du 27 septembre dernier, l’on n’a pas de quoi être rassurés à ce propos.
Bernard De Commer, ancien permanent syndical et membre du Conseil de l’Education et de la Formation
(1) La rénovation de l’enseignement primaire Comprendre les enjeux du changement pédagogique. De Boeck. 2005.
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