Carte blanche
Enseignement: l’absurdité de devoir accumuler des points
Dans l’enseignement obligatoire, l’élève devra accumuler des points durant toute sa scolarité. Selon Didier Bronselaer (Centre de réussite scolaire), ce système est absurde et devrait être remplacé par une autre forme d’évaluation.
Un bon élève « classique » est un manager qui travaille pour gagner des points , s’en enrichir toujours plus. Pas de profits suffisants ? Pas de reconnaissance des pairs, des enseignants, des autorités scolaires ! En économie, un commerce qui ne fait pas de profits disparait.
Peut-il partager ses points avec ses camarades ? Non.
Peut-il les prêter moyennant des intérêts en points, voire en euros ? Non.
Du coup, il est bien obligé de les thésauriser, et ce, toute sa vie d’élève.
Sinon que son capital « points » se voit toujours réduit à zéro, qu’il en ait gagné peu ou beaucoup, à chaque retour des grandes vacances. Absurde. Non ?
Quelques conséquences d’avoir à accumuler un gros capital points :
- La peur d’en perdre.
- La préoccupation anxiogène d’en gagner toujours plus.
- La crainte lancinante de devenir comme les pauvres en points, un humilié.
Absurde, non ? Pourtant, c’est la logique de notre culture scolaire.
Une logique d’autant plus déraisonnable que le système qui « distribue » les points, c’est-à-dire l’évaluation sommative ou certificative, a été démontré comme totalement non valide, depuis des décennies !
L’organisme dans lequel l’élève travaille, c’est-à-dire l’école, le soumet à l’enseignement de connaissances, de compétences rassemblées sous forme de cours, cours dirigés par les professeurs qui rémunèreront lesdits élèves sous forme de points, les amenant à constituer un capital éphémère qui peut d’ailleurs se retourner contre eux. Deux élèves de la même classe ayant suivi 33h de cours sur la semaine et ayant ingurgité la même dose d’enseignement en tireront un produit différent.
Plus l’enfant est jeune, plus les points seront entourés de compliments ou de reproches, et nous savons à quel point nous sommes sensibles aux remarques des autres, surtout de ceux qu’on aime, de ceux qui influencent notre bonheur d’être.
En plus, la course aux points continue pendant les temps de repos. Quid du bénéficie de ces une ou deux semaines de vacances de novembre ? Bien des élèves ont reçu du travail à faire, ont été prévenus qu’ils auront de gros contrôles la semaine qui suit celle de la rentrée (l’autorité scolaire a interdit de donner des interrogations la semaine de retour des vacances). Ces gros contrôles se verront rapidement suivis par les examens de Noël (super gros contrôles propres à la Belgique). Bref, entre les vacances de novembre et celles de Noël, l’élève passera son temps à subir des évaluations sommatives ou certificatives (ça passe ou ça casse) prouvées comme imparfaites et nuisibles, plutôt que de bénéficier d’enseignement, « raison » supposée de sa présence à l’école. Ces examens constituent des moments de gains de points importants, et inversement, de gros capitaux sont en jeu.
Un élève qui gagne beaucoup de points peut n’avoir appris que très peu, un élève très peu rétribué en points peut en avoir beaucoup appris. Absurde, non
Trop peu de points gagnés ? C’est le risque de faillite psychologique, pédagogique, morale. L’élève n’aura même pas droit au chômage, son seul recours pour y survivre est sa famille.
Rappelons toutefois que de plus en plus d’écoles secondaires remplacent les examens de Noël par des évaluations sommatives supposées s’adapter aux lacunes des élèves ; même si elles restent sommatives, c’est un progrès, au bénéfice des apprenants.
Notons également que si un comportement du jeune n’a pas plu au « payeur », il peut se voir mis à l’amende comme perdre des points, recevoir un zéro.
N’oublions pas, un élève qui gagne beaucoup de points peut n’avoir appris que très peu, un élève très peu rétribué en points peut en avoir beaucoup appris. Absurde, non ?
L’évaluation sommative est une croyance, sa validité n’existe pas, seule existe une croyance purement culturelle, aux grands dépens des apprenants et des enseignants belges francophones, usagers de l’école obligatoire.
Mais alors que faire ?
Hé bien, comme le font certaines écoles chez nous, comme le pratiquent des écoles à pédagogie dite ouverte, des écoles internationales, et aussi de nombreux pays, inspirons-nous de la pédagogie collaborative avec sa pratique de l’évaluation formative mutuelle.
Par définition, l’évaluation formative mutuelle s’axe sur les ressources d’apprentissage du jeune, elle valorise une constante autoévaluation, un échange permanent entre lui et son environnement. Ce qu’il acquiert l’enrichit, et ne peut être remis à zéro. Ces acquis, il les partage sans intérêt autre que de s’en sentir valorisé. Il se voit progresser positivement, tout en prenant conscience de ses lacunes, des efforts fournis, et à fournir.
Ha oui, il y a aussi 500 à 600 millions d’euros à y gagner (frais dus aux redoublements qui ne s’avèrent pas dans l’évaluation formative mutuelle).
Didier Bronselaer, psychopédagogue, psychologue clinicien, orthopédagogue, ex-assistant à l’Université Libre de Bruxelles, enseignant formateur directeur du Centre de Réussite Scolaire
Le titre est de la rédaction. Titre original: « Quel profit pour l’élève belge francophone de fréquenter l’école francophone obligatoire ‘classique’? »
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