Carte blanche
Energies: la Belgique va-t-elle rater le train de l’intelligence artificielle ? (carte blanche)
Ca y est: depuis le 9 août, l’Europe appelle ses citoyens à diminuer leur consommation d’énergie pour atteindre collectivement une réduction de 15%. Mais l’Europe ne mise pas sur l’intelligence artificielle, regrette Baptiste Fosséprez, CEO d’une entreprise du secteur.
Depuis plus d’un an, deux sujets sont au centre des préoccupations des Belges. L’augmentation du coût des énergies (gaz, essence, électricité…) due en grand partie au contexte géopolitique et la baisse de pouvoir d’achat qui en découle (l’énergie étant à la base du fonctionnement de nos sociétés). A cela s’ajoute une prise de conscience de l’importance d’agir vite et bien face au plus grand défi de l’histoire de l’humanité : le changement climatique. Or celui-ci est intrinsèquement lié à notre (sur)consommation d’énergie, majoritairement fossile.
La situation est tellement dramatique dans l’ensemble de l’Europe que les États membres de l’Union européenne viennent de s’engager à réduire de 15% leur consommation par crainte d’une éventuelle rupture d’approvisionnement de gaz russe et de l’éventuelle paralysie de pans entiers de notre économie qui pourraient en découler. Comment ? En incitant citoyens, administrations et entreprises à appliquer un principe de sobriété et d’économie. Depuis ce 9 août et jusqu’au printemps prochain, les Européens sont ainsi invités à consommer moins d’énergie (climatisation, éclairage…), à se déplacer ou à produire moins…
Appliquer un principe de sobriété est une démarche intéressante dans un monde qui surconsomme de tout en permanence. Mais aucune solution durable ne pourra venir de ce principe, car il ne résout aucunement nos problèmes de dépendance énergétique et de surconsommation de ressources. C’est le modèle qu’il faut changer. L’énergie nécessaire pour faire fonctionner nos sociétés ne peut plus être d’origine fossile. Notre mode de vie ne peut continuer à exploiter plus de ressources que ce que la planète ne peut nous fournir durablement. Notre production et notre consommation de biens matériels (ce compris la nourriture) ne peut laisser de place à l’inefficacité et au gaspillage.
Il faut penser (et planifier) une transition vers un monde décarboné, intégrer le fait que les ressources naturelles (matériaux et énergie) sont contraintes, et ce de manière holistique : pour les transports, le résidentiel, l’agriculture, l’industrie ou encore la production et la distribution de l’énergie.
Pourquoi l’Europe est-elle tellement en retard en matière de dépendance énergétique ? Ce n’est pas comme si nous découvrions les énergies hydrauliques, éoliennes ou solaires
Une question se pose alors : pourquoi l’Europe est-elle tellement en retard en matière de dépendance énergétique ? Ce n’est pas comme si nous découvrions les énergies hydrauliques, éoliennes ou solaires. L’énergie hydraulique à plus de 100 ans, le solaire grâce au photovoltaïque en a plus de 60 ? Le concept de durabilité a été introduit en 1987 par la Commission Brundtland des Nations Unies. Le premier rapport d’évaluation du GIEC date de 1990. Qu’ont fait nos politiques depuis tout ce temps ? Où est la stratégie à moyen terme ? Le constat est cruel : nous sommes passés à côté. Mais il est temps de se ressaisir. Il est possible de se projeter dans un monde utilisant l’énergie de manière raisonnable et raisonnée. Pour citer Jean-Pascal Van Ypersele, « le futur n’est pas une fatalité, il dépend des choix faits dans les années et les décennies qui viennent ».
La question se pose également concernant les outils et techniques à exploiter, dont l’intelligence artificielle. Va-t-on également laisser passer le train de l’IA dans la planification de notre transition ? Pour l’instant, en tout cas, pas grand-chose ne bouge. Et pourtant, l’IA est essentielle pour comprendre et gérer notre production d’énergie et les usages que nous en faisons. Aujourd’hui, la Chine développe ses villes en intégrant pleinement l’IA. Elle a compris tout le bénéfice qu’elle peut tirer d’une gestion efficace des données. Et elle utilise l’IA pour prévoir les consommations d’énergie, les pollutions (qui fait 4.000 morts par jour en Chine), les besoins énergétiques quartiers par quartiers selon les heures et les jours. Sans compter l’utilisation que l’on peut faire de l’IA dans la gestion des prévisions météorologiques, essentielles pour une bonne production des énergies renouvelables. Toujours en Asie, un outil alimenté par l’intelligence artificielle vient d’être créé par des chercheurs à Singapour pour cartographier le potentiel des toits durables partout dans le monde.
On parle pour qualifier cette stratégie d’intelligentisation (néologisme issu de l’Anglais intelligentization), soit la capacité des politiques à intégrer l’usage de l’IA pour gérer les villes de demain. Une intelligentisation que l’on peut développer pour nos sociétés également. Beaucoup de villes et de politiques belges sont persuadés de faire de la Smart Cities parce qu’ils intègrent un peu de digitalisation et de collectes de données dans leur gestion quotidienne. Mais, nous ne sommes nulle part.
Dans notre pays, l’IA n’est pas intégrée dans nos stratégies énergétiques et n’est pas mise au service de nos outils de production industriels et d’énergies renouvelables, malgré de belles initiatives telles que celles développées par DigitalWallonia, l’Agence du numérique ou encore Agoria.
Un constat d’autant plus amer que notre pays possède des entreprises spécialisées en IA ultra-performantes, telles que Sagacify, Haulogy, ou B12 Consulting. L’entreprise pour laquelle je travaille, PEPITe, à Liège, développe par exemple des logiciels de gestion de données qui permettent de réaliser jusqu’à 15-20% d’économies d’énergies dans les processus industriels et d’optimiser les processus de production d’énergie renouvelable. L’IA made in Belgium est capable de mettre en avant une sous-performance énergétique, d’en étudier le modèle pour le changer et savoir quand l’utiliser afin de réduire de 15 à 20% sa consommation énergétique, soit exactement ce que les états européens s’engagent à faire les prochains mois, et ce de manière pérenne.
Baptiste Fosséprez, CEO de PEPITe
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